251 partages |
Un million de mesures de protection en France en 2023, tel est l'immense chantier de la protection des majeurs en France.
Ce 18 octobre 2024 s'est tenu au sein des locaux de la Cour de Cassation un colloque consacré à la Protection juridique des majeurs. Y ont été abordés des enjeux cruciaux pour l'avenir du droit de la protection des majeurs.
https://www.linkedin.com/events/lesm-tamorphosesdelaprotectionj7252930952396496896/theater/
En s'appuyant sur les 15 années de la loi du 5 mars 2007 et les réformes successives, les intervenants du colloque ont dressé un état des lieux du droit des majeurs protégés et proposé des pistes de réformes.
Nous vous proposons d'explorer les principaux enseignements de cette rencontre, en nous attardant sur les défis juridiques et éthiques liés à la protection des majeurs vulnérables.
La loi du 5 mars 2007 a introduit des principes de nécessité, subsidiarité et proportionnalité. Elle a renforcé l'individualisation des mesures de protection et restreint l'usage de la tutelle au profit de la curatelle et d'autres dispositifs alternatifs, tels que l'habilitation familiale (ordonnance du 15 octobre 2015). Ces mesures ont permis de réduire la rigidité des anciennes approches, plaçant au c?ur de chaque décision la volonté et les capacités résiduelles de la personne protégée.
Cependant, les réformes ont également mis en lumière des défis opérationnels, notamment en ce qui concerne les critères d'évaluation de la vulnérabilité et le rôle central du certificat médical circonstancié. Ce dernier, obligatoire pour l'ouverture d'une mesure, est un élément clé, mais souvent jugé insuffisant, voire inadapté, par certains magistrats et praticiens. La loi de 2019 a cherché à améliorer ce processus en incluant l'audition obligatoire du majeur, sauf incapacité avérée. Pourtant, le colloque a révélé que ces mesures de protection, bien qu'essentielles, sont encore entravées par des limites d'ordre pratique et organisationnel, particulièrement dans un contexte de vieillissement de la population et d'accroissement des troubles cognitifs.
Les contributions du colloque ont fait ressortir une critique récurrente sur l'approche médicalisée de la protection juridique des majeurs, qui s'appuie encore majoritairement sur l'évaluation des troubles cognitifs. Cette vision est considérée comme restrictive par certains intervenants, puisqu'elle ne prend pas toujours en compte l'environnement social et familial, ni les capacités fonctionnelles de la personne au quotidien.
Le certificat médical circonstancié, bien que central, présente plusieurs faiblesses :
? Qualité variable des évaluations : les médecins inscrits manquent parfois de formation spécifique pour évaluer les besoins juridiques des majeurs. L'outil d'évaluation actuel ne parvient pas toujours à refléter les besoins spécifiques du majeur dans les domaines personnel et patrimonial.
? Divergence des compétences des médecins : le colloque a souligné le manque de médecins spécialisés (par exemple, gériatres et psychiatres) dans certaines régions, ce qui pose des difficultés pour les évaluations. La dépendance de l'évaluation à la disponibilité des spécialistes limite l'objectivité et l'efficacité des mesures.
? Place de l'audition : l'audition des majeurs est un droit fondamental qui permet d'évaluer leur compréhension des mesures de protection, mais elle est peu appliquée pour les personnes âgées ou en institutions (EHPAD), souvent en raison de l'immobilité de ces dernières ou des avis médicaux de non-audition, parfois controversés.
Recommandations proposées
Pour remédier à ces problématiques, il a pu être recommandé d'envisager des modèles de certificats plus détaillés, qui combinent des options à cocher avec des sections pour des observations qualitatives. Cette standardisation permettrait de garantir une plus grande homogénéité dans l'évaluation des capacités. La formation continue des médecins inscrits et des magistrats a également été évoquée, afin de favoriser une meilleure compréhension réciproque des attentes et des besoins en matière d'évaluation des majeurs protégés.
La notion d'anticipation de la vulnérabilité occupe une place centrale dans la protection juridique des majeurs. La loi de 2007 a introduit des outils d'anticipation comme le mandat de protection future, permettant aux individus d'organiser leur protection avant que leurs capacités ne soient altérées. Bien que cette mesure se développe, elle demeure complexe et parfois inaccessible pour les publics les plus vulnérables, notamment les personnes seules ou isolées.
Les discussions du colloque ont fait émerger le besoin de mécanismes préventifs plus souples, en lien avec les changements démographiques, la complexification des parcours de vie, et l'évolution des relations familiales. Un consensus s'est dégagé autour de l'importance de dispositifs anticipatifs accessibles, visant à respecter la volonté des majeurs en cas de déclin des facultés.
Parmi les suggestions, le renforcement du contrôle judiciaire allégé pour les majeurs protégés a été préconisé afin de s'assurer d'une protection " ni trop faible, ni trop lourde ". Les pratiques actuelles, jugées parfois restrictives, risquent d'entraver l'autonomie des majeurs protégés et de les éloigner de leur environnement habituel.
Les avocats jouent un rôle essentiel dans la protection des majeurs, allant bien au-delà de la simple représentation judiciaire. Lors du colloque, plusieurs intervenants ont insisté sur l'importance de cette mission pour préserver les libertés fondamentales et la dignité des majeurs vulnérables, face à des mesures de protection parfois trop restrictives.
Défense des libertés individuelles
Les avocats, en leur qualité d'auxiliaires de justice, veillent à ce que chaque décision respecte les principes de nécessité, de proportionnalité, et de subsidiarité, tels que définis par la loi de 2007. Les intervenants ont rappelé que la restriction des libertés doit être limitée au strict nécessaire pour protéger le majeur. En ce sens, l'avocat est un rempart contre les tentations de de restrictions abusives des libertés individuelles du majeur protégé sous le prétexte d'un principe de précaution.
La " voix du sans-voix "
L'avocat est aussi le porte-parole des majeurs, souvent en difficulté pour exprimer leurs besoins ou défendre leur autonomie. Grâce à leur proximité avec le justiciable, les avocats s'efforcent de faire entendre les volontés de leurs clients, même lorsque ces derniers sont en difficulté de communication, pour éviter que la représentation ne se transforme en une substitution abusive. Cette mission est particulièrement précieuse dans un contexte où la protection ne doit jamais se faire au détriment de l'autonomie.
Gardiens de la dignité
Un autre axe important de la fonction de l'avocat est de préserver la dignité du majeur, mission particulièrement cruciale pour les personnes âgées ou souffrant de troubles cognitifs. En tant que " dispensateur d'intranquillité " selon l'expression d'un intervenant, l'avocat veille à ce que chaque mesure de protection respecte la qualité de vie et les préférences de la personne.
Vers une coopération renforcée
Les échanges ont également souligné l'importance d'une relation de confiance et de coopération entre les avocats et les autres acteurs du système judiciaire, y compris les juges et les mandataires judiciaires. Une meilleure coordination permettrait d'accéder aux informations essentielles et d'assurer une protection adaptée aux besoins du majeur.
Le colloque a permis de confirmer que la protection juridique des majeurs est une discipline en constante évolution, éclairée par les valeurs de dignité et de liberté individuelle. Cependant, il est essentiel d'accompagner cette évolution par des réformes pragmatiques et adaptées aux réalités du terrain. La simplification des dispositifs, l'amélioration des outils d'évaluation, la formation continue des intervenants, ainsi qu'une coordination plus étroite entre les avocats et autres acteurs du système judiciaire sont autant de pistes pour répondre aux défis posés par la démographie et les besoins croissants des majeurs protégés.
Dans ce contexte, le rôle de l'avocat s'avère fondamental, non seulement comme garant des droits individuels mais aussi comme pilier éthique et humain de la procédure de protection. En gardant l'humain au c?ur des décisions et en s'assurant de la proportionnalité des mesures, la France pourrait, selon les panélistes, devenir un modèle en matière de protection des majeurs, où respect de l'autonomie et soutien effectif se renforceraient mutuellement.
Une question en Nos avocats vous répondent gratuitement | 83%de réponse |
Offre et délai minimum transmis par un avocat sur Alexia.fr au cours des 30 derniers jours dans au moins une région.