*Libération, Par Pascale NIVELLE, vendredi 13 février 2004, p. 40
Francis Szpiner, 49 ans. Avocat d'Alain Juppé. Bon pénaliste, cet habile mercenaire de l'UMP gravite dans le premier cercle élyséen.
C'est un petit homme grand. Un avocat à grosse voix, ego immense, puissantes motos.
«Une grande intelligence», complète François Baroin, qui l'a récemment marié à sa belle et longue épouse. Juppé, Baudis, Chirac, Borloo, Villepin sont ses amis.
Leurs ennemis publics, Montebourg et Halphen, ses ennemis personnels. Me Francis Szpiner, petit homme de 1,60 mètre, aime la vie au superlatif.
Son camp ? Le fantasmatique «cabinet noir»de l'Elysée, repaire des conseillers spéciaux de la présidence. S'y préparent, autour de Dominique de Villepin, volées, revers et coups tordus. Francis Szpiner se défend mollement, «on me demande parfois conseil, il arrive que je sois appelé». «C'est le camp des voyous», gronde Arnaud Montebourg, nettoyeur de la République et ancien avocat, qui adore se colleter avec «ce grand pénaliste». Aux dernières élections législatives, ils ont combattu comme deux coqs dans la Bresse, cinquième circonscription de Saône-et-Loire. Francis Szpiner, parisien pur sucre, garde un souvenir mitigé des cours de ferme. David Douillet, président de son cabinet de soutien, signait des autographes. Il a fini perdant, avec ses habituels costumes sombres piqués du ruban de chevalier de la Légion d'honneur.
Il était en service commandé, mercenaire de la raison d'Etat, «commis d'office», dit-il, ès qualités d'«avocat de Chirac». C'est son label depuis cinq ans : l'impunité du président de la République, c'est lui. Le dossier Juppé amaigri des deux tiers, c'est lui. Et la condamnation en béton de Nanterre, c'est lui aussi. Au procès, ce tonitruant a baissé d'un ton. «Profil bas», raconte un participant. Certains l'ont vu empêtré dans le parachute qu'il avait ouvert pour Chirac. «J'ai porté cette défense et je l'assume», tonne-t-il dans un élan malrucien (Malraux est son idole). Il dit aussi que le jugement de Nanterre ne trouble pas ses nuits : «Je suis avant tout avocat, j'ai l'habitude des échecs.» Malgré quelques réticences à l'UMP, Me Szpiner a été reconduit pour le procès en appel. Il reste dans les secrets de la présidence. « Jusqu'à nouvel ordre», dit-il. Mais, depuis dix jours, il a disparu des gazettes . Ce mercredi, les tribunaux sont désertés par les avocats en colère. La voix de basse de Me Szpiner fait trembler les assises d'Evry. Perben n'est pas un ami et ses lois sont scélérates, il en convient. Sa place, lui qui s'enorgueillit d'un titre de vice-président de la CNCDH (Commission consultative des droits de l'homme), serait «évidemment» auprès de ses confrères. Mais les affaires sont les affaires. Un avocat ne laisse pas un accusé «innocent» seul aux assises sans défense. Et l'heure est à la discrétion au TSD, le «tout sauf la division» de Raffarin. Il ne s'est pas montré dimanche au congrès de l'UMP, dont il a la carte «quelque part». Trop de «turpitudes».
Dans son lycée parisien, c'était le genre forte tête. A la maison, Francis est le petit garçon choyé, troisième enfant et seul fils de Jacques et Bella Szpiner, imprimeurs. La famille est chaleureuse, soudée par l'histoire des grands-parents, des immigrés polonais dont trois sur quatre ont fini leur vie dans les camps de Hitler. Bella lit le Deuxième Sexe et Arthur Koestler. Jacques Szpiner, résistant à 17 ans, agnostique et franc-maçon, est un admirateur de De Gaulle et Mendès-France. Il n'a qu'une religion, la République française. Les parents racontent la France au temps de l'étoile jaune, et aussi Staline et les procès de Moscou. Francis se nourrit d'histoire et de littérature. Mai 68 lui évoque aujourd'hui un autre printemps, Jan Palach et les barricades dans Prague. Dans l'appartement toujours ouvert, au pied de la butte Montmartre, Francis Szpiner se souvient d'avoir été «profondément aimé, profondément heureux». Dehors, c'était un caïd, grande gueule et ceinture noire de karaté. «Il était le plus petit, et le plus fort», se souvient son ami, Maurice Mimoun, professeur de médecine, «il n'a pas changé». Même voix, même bagout, même nervosité. Il imitait des profs, comme maintenant Chirac et Raffarin. Les filles riaient. Sa vie semble une longue entreprise de séduction. «Il est drôle, mais il en rajoute. Il ne peut s'empêcher d'être au centre de tout. C'est saoulant», dit une consoeur. «Je ne crois pas qu'il joue un rôle, explique le professeur Mimoun, ou alors il le jouait déjà.»
En première, le garçon s'ennuie. Il décide de passer son bac en candidat libre un an avant l'heure, et l'obtient. Cinq ans plus tard, deuxième secrétaire à la conférence du stage, il prononce un emphatique éloge d'André Malraux. Son style, classique pompier, est trouvé. Sa vocation aussi, lorsqu'il voit Jacques Isorni, ex-avocat de Pétain, plaider brillamment aux assises. Il sera avocat pénaliste, métier qui permet «1 000 vies». Un choix que l'avocat de Chirac ne regrette pas. «Le pénal est sorti du banditisme et de la marge, il a envahi toute la société française.» Comme Isorni, Szpiner promène un petit carnet de moleskine noire où sont consignées toutes ses affaires criminelles aux assises : 108 à ce jour, sans Juppé. «La correctionnelle, prétend-il, ça ne compte pas.»
Le carnet ne retient que la fierté volatile des plaideurs d'assises. Pas de trace des Nucci, Tapie, Schuller, Baudis récemment, petits cailloux sur le chemin de l'ambitieux. Gauche, droite, gauche, droite, sa trajectoire oscille d'un pouvoir à l'autre, du MRG (à cause de Mendès) à l'UMP (en raison de Chirac). Le «gaulliste romantique» d'aujourd'hui votait à gauche avant 81. Après 86, un pied déjà dans la chiraquie, il se retrouve au coeur des affaires africaines, avocat du dictateur Bokassa, condamné à mort puis gracié. L'année suivante, il défend le démocrate Abdoulaye Wade au Sénégal. A 36 ans, il succombe à «la tentation de Papeete», passe une année «sabbatique», dit-il, sous les cocotiers. En réalité au cabinet du président RPR dissident Alexandre Leontieff, chassé l'année suivante par les affaires. Francis Szpiner est aussi franc-maçon depuis trente ans. Le Grand Orient d'abord, puis la Grande Loge où il a tenté en vain d'initier Bernard Tapie. C'est sa patte, mélanger les gens et les genres, tricoter des réseaux, être toujours en avance d'une information. S'introduire dans un dossier politique par la petite porte d'une partie civile, lâcher quelques grenades dans la presse : «C'est un tacticien remarquable», admire François Baroin. «Il a l'intelligence des situations et connaît parfaitement le jeu médiatique.» En dernier recours, il sort les dents. «Pour dominer, intimider, raconte un juge, il est capable de pousser des gueulantes terribles.» Quelle que soit l'affaire, il s'investit. Jamais fatigué, jamais démoralisé, vibrionnant dans les volutes de ses petits cigares. «Une boule d'énergie», dit un copain. Son secret ? Sa fille de 20 mois, son premier enfant. Elle s'appelle Clara-Bella. Clara comme la fille de Juppé et Bella comme sa maman. Un grand amour.
-------
Bio express
Francis Szpiner en 8 dates
1954 Naissance à Paris.
1977 Premier procès aux Assises.
1979 Deuxième secrétaire à la conférence du stage des avocats.
1985 Mort de Bella, sa mère.
1986 Défend Christian Nucci, ministre socialiste, dans l'affaire Carrefour du Développement.
1993 Première rencontre avec Alain Juppé et Jacques Chirac.
2002 Naissance de Clara Bella pendant la campagne des législatives.
30 janvier 2004 Jugement de Nanterre.
Une question en Nos avocats vous répondent gratuitement | 83%de réponse |
Offre et délai minimum transmis par un avocat sur Alexia.fr au cours des 30 derniers jours dans au moins une région.