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Le système fiscal français, aussi décrié soit-il actuellement, repose sur une conception essentielle : le pacte de confiance.
En vertu de ce pacte implicite, il appartient à chaque contribuable de déclarer annuellement à l'Administration Fiscale l'ensemble de ses revenus afin que l'impôt puisse être calculé et recouvré.
La confiance tient au fait que l'Administration Fiscale ne va donc pas aller dans chaque foyer pour vérifier sur place la véracité des déclarations de revenus qui lui ont été transmises.
On part donc du principe que chaque contribuable a honnêtement et intégralement déclaré ses revenus.
Mais l'on se doute également que toutes les déclarations de revenus ne sont pas toujours aussi transparentes que cela car :
- le contribuable peut, de bonne foi, se tromper dans l'établissement de sa déclaration. Cela est d'autant plus vrai que les déclarations de revenus sont de moins en moins "lisibles" et que les taxes se sont multipliées ces dernières années, de telle sorte qu'il est parfois difficile de s'y retrouver...
- le contribuable a également pu masquer la réalité de ses revenus pour faire échapper une partie de ceux-ci à l'Administration Fiscale.
Les motifs de déclarations erronées ne manquent donc pas.
Il appartient, par conséquent, à l'Administration Fiscale, d'opérer des contrôles sur les déclarations qui lui sont envoyées.
Celle-ci est cependant limitée par le temps, ce qui signifie qu'elle ne pourra pas éternellement contrôler une période d'imposition suspecte.
On parle alors de prescription fiscale, ou de délai de reprise, qui est une période de temps au-delà de laquelle l'Administration Fiscale ne pourra plus rectifier les déclarations de revenus du contribuable et procéder à un redressement fiscal.
1) Le principe de la prescription triennale.
En matière d'imposition sur le revenu et d'imposition sur les sociétés, le texte de référence est l'article 169 du Livre des Procédures Fiscales, qui dispose :
" Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due."
Rappelons ici le mécanisme de déclaration des impôts : chaque année, les contribuables déclarent les revenus perçus l'année précédente.
Ainsi, en 2013, chaque contribuable a déclaré les revenus qu'il avait perçus en 2012.
L'impôt qu'il paie en 2013 est donc assis sur les revenus déclarés pour l'année 2012.
Le délai de reprise s'applique de la manière suivante : supposons que l'Administration Fiscale veuille redresser un contribuable avant le 31 décembre 2013. Celle-ci ne pourra remonter au-delà du 1er janvier 2010.
L'Administration Fiscale aura donc jusqu'au 31 décembre 2013 pour redresser le contribuable sur ses revenus de l'année 2010, déclarés en 2011.
L'année 2013 est, en effet, la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due pour les revenus 2010.
De la même façon, l'Administration Fiscale aurait jusqu'au 31 décembre 2011 pour redresser un contribuable au titre de ses revenus de l'année 2008, déclarés en 2009.
Le système est donc assez simple : pour connaître les années pour lesquelles vous ne pouvez plus être redressé, il suffit de remonter trois ans en arrière.
Le contribuable peut être recherché, contrôlé et redressé, au titre des trois dernières années. Au-delà de ce terme, soit à compter de la quatrième année, le contribuable échappe, sauf quelques exceptions, à tout contrôle et redressement.
2) Les exceptions.
Certaines situations de fait viennent balayer le principe de la prescription triennale, soit pour étendre le délai de reprise au-delà du terme des trois ans, soit pour le raccourcir.
Nous aborderons ici trois des principales exceptions parmi un panel important.
a) L'adhésion à un Centre de gestion agréé
Cette exception est issue de la Loi de Finances de 2009, entrée en vigueur le 1er janvier 2010.
Elle se retrouve retranscrite à l'article 169, alinéa 2, du Livre des Procédures Fiscales, qui dispose :
" Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration, pour les revenus imposables selon un régime réel dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux et des bénéfices agricoles ainsi que pour les revenus imposables à l'impôt sur les sociétés des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée et des sociétés à responsabilité limitée, des exploitations agricoles à responsabilité limitée et des sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée dont l'associé unique est une personne physique, s'exerce jusqu'à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable est adhérent d'un centre de gestion agréé ou d'une association agréée, pour les périodes au titre desquelles le service des impôts des entreprises a reçu une copie du compte rendu de mission prévu aux articles 1649 quater e & 1649 quater h du code général des impôts."
Certains contribuables ont, en effet, tout intérêt à adhérer à un Centre de gestion agréé auprès duquel ils soumettront leurs déclarations de revenus afin d'en faire vérifier la cohérence.
Il s'agit notamment des professions libérales et des professions commerciales.
Le Centre de gestion agréé, qui reçoit ainsi la déclaration des revenus du contribuable, est tenu d'en vérifier la cohérence et de dresser un compte rendu de mission au Service des Impôts des Entreprises dont dépend son adhérent, dans un délai de dix mois à compter de la réception de la déclaration de résultat.
En contrepartie de cette adhésion à un Centre de gestion agréé et de l'accomplissement de cette formalité, le contribuable voit le délai de reprise passer de trois ans à deux ans.
Cela signifie donc que le contrôle de l'Administration Fiscale ne pourra s'exercer, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, que jusqu'à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Si l'on reprend ainsi notre exemple précédent, et si l'on suppose que l'Administration Fiscale veut redresser un contribuable avant le 31 décembre 2013, celle-ci ne pourra remonter au-delà du 1er janvier 2011.
L'Administration Fiscale aura donc jusqu'au 31 décembre 2013 pour redresser le contribuable sur ses revenus de l'année 2011, déclarés en 2012.
L'année 2013, dans cet exemple précis, est, en effet, la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due pour les revenus 2011.
On voit donc que certains contribuables ont tout intérêt à adhérer à un Centre de gestion agréé pour réduire le délai de reprise de trois ans à deux ans.
Que penser de cette première exception : elle est assez logique. Elle est en tout cas une "prime à ceux qui jouent franc-jeu".
En effet, il faut savoir que le Centre de gestion agréé sera soucieux de vérifier la cohérence de la déclaration du contribuable puisqu'il engage sa responsabilité en cas de vérification incomplète.
En pratique, si la déclaration du contribuable présente des zones d'ombre, des incohérences et des incomplétudes, le Centre de gestion agréé sollicitera auprès de son mandant toutes explications et fournitures de documents avant de rendre son rapport auprès de l'Administration Fiscale.
Tout le monde s'y retrouve donc :
- le contribuable, qui bénéficie donc d'un examen de cohérence propre à l'aiguiller dans le bonne direction et qui voit ainsi la période contrôlable passer de trois à deux ans ;
- l'Administration Fiscale qui se voit ainsi déchargée d'une partie de son travail de contrôle des déclarations (ce qui ne signifie pas qu'elle renonce à cette prérogative !!!).
Notons, enfin, que ce délai de reprise est également réduit de trois ans à deux ans en ce qui concerne la taxe sur le chiffre d'affaires, prévue à l'article L 176 du Livre des Procédures Fiscales.
La réduction du délai de reprise est donc perçue, ici, comme un régime de faveur accordé au contribuable qui "joue le jeu" et accepte de passer par le contrôle préalable d'un Organisme de gestion agréé.
b) La survenance d'une procédure judiciaire révélant une omission ou une insuffisance d'imposition
L'article L 170 du Code de procédure fiscale dispose :
" Même si les délais de reprise prévus à l'article L 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse, peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due."
Cette exception est prévue à l'article 170 du Livre des Procédures Fiscales qui permet à l'Administration Fiscale de contrôler et de corriger des insuffisances qui marqueraient une déclaration de revenus, et alors même que le délai de reprise est écoulé, lorsque l'omission qui affecte cette déclaration est révélée par une instance devant les tribunaux ou une réclamation contentieuse.
Dans ce cas, l'Administration Fiscale dispose d'un délai qui court jusqu'à l'expiration de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance judiciaire et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Toutes les instances judiciaires sont concernées par ce texte, qu'elles s'exercent devant le juge judiciaire ou le juge administratif.
Cette prolongation du délai de reprise peut être vue, ici, comme une sanction puisqu'elle révèle, à l'occasion des instances judiciaires, les erreurs, plus ou moins voulues, qui affectent la déclaration de revenus d'un contribuable qui aura omis, sciemment ou non, de déclarer une partie de ses revenus.
Concrètement, cette exception fonctionne donc de la manière suivante :
Exemple 1 : Soit une décision judiciaire qui révèle l'insuffisance de la déclaration d'un contribuable, et qui est rendue en date du 15 octobre 2013.
L'Administration pourra donc agir jusqu'au 31 décembre 2014 car elle a jusqu'à l'expiration de l'année qui suit celle au cours de laquelle la décision a été rendue, pour réagir.
Enfin, l'Administration pourra remonter jusqu'à l'année 2004 et contrôler la déclaration des revenus 2004, puisqu'elle peut remonter jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Exemple 2 : Supposons que la décision judiciaire est rendue le 15 octobre 2013, l'Administration dispose donc toujours d'un délai qui va jusqu'au 31 décembre 2014 pour agir.
Par contre, si cette décision judiciaire a révélé des insuffisances ou des omissions dans la déclaration du contribuable pour l'année 2001, l'Administration ne pourra plus procéder à un contrôle concernant cette année-là, puisque nous serons au-delà du délai de dix ans prévu par le texte.
Que penser de cette exception : celle-ci peut largement se comprendre puisqu'il s'agit de réparer des omissions ou des insuffisances, faites plus ou moins sciemment par le contribuable.
L'Administration doit donc pouvoir remonter dans le temps, au-delà du délai triennal fixé par l'article L 169 du Code de Procédure Fiscale.
Il convenait cependant de mettre un garde-fou, en limitant cette remontée dans le temps à une durée de dix ans.
En effet, passé un certain nombre d'années, le contribuable doit, lui aussi, pouvoir se sentir en sécurité, c'est-à-dire à l'abri de tout contrôle.
Cette exception de l'article L 170 tente donc de traduire un équilibre entre les intérêts de l'Administration Fiscale, censés représenter l'intérêt commun, et le contribuable, censé représenter l'intérêt particulier.
c) La pratique des agissements frauduleux
Cette exception est prévue à l'article L 187 du Code de Procédure Fiscale, qui dispose :
" Lorsque l'administration, ayant découvert qu'un contribuable se livrait à des agissements frauduleux, a déposé plainte contre lui, elle peut procéder à des contrôles et à des rehaussements au titre des deux années excédant le délai ordinaire de prescription. Cette prorogation de délai est applicable aux auteurs des agissements, à leurs complices et, le cas échéant, aux personnes pour le compte desquelles la fraude a été commise."
L'hypothèse est donc la suivante :
L'Administration découvre des agissements frauduleux commis par un contribuable, et dépose plainte contre lui. Dans ce cas, le délai de reprise applicable est prorogé de deux ans, et passe donc de trois à cinq ans.
Exemple : Vous faites l'objet d'un contrôle pour les années 2010,
2011 et 2012.
En avril 2013, l'Administration Fiscale découvre des agissements frauduleux dans votre comptabilité et dépose plainte contre vous. Celle-ci pourra alors contrôler les années 2008 et 2009, et vous redresser à ce titre.
Une condition est cependant essentielle pour que le contrôle et le redressement soit légaux : l'Administration doit déposer plainte contre vous devant le Juge d'Instruction.
Bien entendu, l'Administration ne pourra pas procéder au recouvrement des années faisant l'objet d'une prorogation du délai de reprise (soit, dans notre exemple, les années 2008 et 2009) tant que la juridiction pénale ne s'est pas prononcée sur la culpabilité du contribuable.
Si le contribuable fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu devant le Juge d'Instruction (ce qui signifie que ce dernier estime qu'aucune infraction ne peut lui être reprochée) ou si ce contribuable est relaxé devant le Tribunal Correctionnel, alors l'Administration ne pourra procéder à aucun redressement au titre des années dont la prescription a été prorogée.
Les hypothèses que nous venons d'évoquer, au titre des exceptions posées au principe triennal du délai de reprise, ne sont pas les seules.
Le Livre des Procédures Fiscales, soucieux de lutter autant qu'il est possible contre la fraude fiscale, a envisagé une multitude d'exceptions.
Nous avons volontairement pris trois exceptions parmi un panel plus important, et qui sont celles qui reviennent les plus souvent dans la jurisprudence fiscale.
Pour autant, il faut savoir que l'Administration Fiscale dispose de biens d'autres armes pour effectuer ces contrôles.
Il faut enfin savoir que l'Administration Fiscale et le contribuable, qui se font face, ne sont pas dans la même situation. En effet, si le Trésor Public dispose, en principe, d'un délai de reprise de trois ans qui peut être prorogé selon certaines exceptions, le contribuable est, lui aussi, tenu par un délai au-delà duquel il ne pourra plus contester son avis d'imposition.
Le délai de prescription qui frappe le contribuable est, quant à lui, biennal :
- le contribuable dispose donc d'un délai de deux ans, qui s'applique jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'établissement de l'avis d'imposition.
Exemple : Un contribuable déclare, en 2008, ses revenus de l'année 2007.
Il reçoit donc son avis d'imposition en 2008, généralement aux alentours du mois d'août ou du mois de septembre.
Il aura donc jusqu'au 31 décembre de l'année 2010 pour corriger l'imposition qui a été établie par le Trésor Public.
Il appartient donc au contribuable, malgré des moyens matériels moins nombreux, d'être plus rapide que l'Administration Fiscale. En effet, celle-ci part d'un délai de trois ans qui peut, dans de nombreuses hypothèses, être prorogé.
En ce qui concerne le contribuable, celui-ci ne dispose que d'un délai de deux ans qui ne pourra jamais être prorogé.
Il s'agit là d'une inégalité des armes dont se plaint parfois le contribuable, mais qui repose quand même sur un socle essentiel dont nous parlions au début : le pacte de confiance.
Si l'Administration Fiscale fait confiance globalement au contribuable, celle-ci doit pouvoir se retourner contre lui plus facilement.
Il s'agit là, encore et toujours, d'un équilibre que le Livre des Procédures Fiscales a tenté de trouver. On peut le trouver critiquable mais il a eu, jusqu'à présent, le mérite de fonctionner.
La connaissance des différents délais de prescription, et de leurs nombreuses exceptions, est un outil essentiel pour le praticien du droit fiscal.
En effet, c'est cette connaissance de la procédure et des règles de fond qui lui permettra de sortir le contribuable d'une situation parfois très délicate.
Bon nombre de déclarations sont malencontreusement erronées, parfois pour des raisons connues du contribuable. Il ne faut cependant pas oublier que l'enchevêtrement des règles du droit fiscal rend les déclarations très difficiles à compléter, et de nombreuses omissions ou de nombreuses erreurs ne sont absolument pas commises sciemment par le contribuable.
Pour autant, en cas de contrôle et de rectification, la sanction peut être sévère.
D'où la nécessité de connaître, dans le détail, les arcanes du droit fiscal pour faire tomber une grande partie des redressements.
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