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Le droit à la preuve découlant du droit à un procès équitable ne peut pas faire échec à l'intangibilité du secret professionnel du notaire, lequel n'en est délié que par la loi, soit qu'elle impose, soit qu'elle autorise la révélation du secret.
Par deux actes authentiques signés à quelques mois d'intervalle, des époux consentent deux ventes immobilières avec faculté de rachat à un particulier. Le prix est payé pour l'essentiel par voie de compensation avec des dettes préexistantes des vendeurs envers l'acquéreur. Il est précisé que l'ensemble immobilier vendu était par ailleurs grevé d'une hypothèque prise en garantie de plusieurs reconnaissances de dette antérieures établies par les époux au profit de l'acquéreur.
Estimant avoir été victimes d'un dol et que les ventes constituent en réalité des pactes commissoires prohibés, les époux portent l'affaire en justice. Ils se fondent notamment sur quatre courriers adressés à l'acquéreur et à son mandataire par le notaire ayant rédigé les actes. La cour d'appel refuse toutefois d'en tenir compte. Ces lettres sont en effet couvertes par le secret professionnel car elles évoquent les relations que le notaire avait entretenues avec l'acquéreur et son intermédiaire lors de la préparation des actes de vente.
Devant la Cour de cassation, les époux invoquent le droit à la preuve découlant de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (droit à un procès équitable). Sans plus de succès. Le droit à la preuve ne peut pas faire échec à l'intangibilité du secret professionnel du notaire, lequel n'en est délié que par la loi, soit qu'elle impose, soit qu'elle autorise la révélation du secret.
Remarques
Le droit à la preuve découlant du droit à un procès équitable ne saurait être absolu. Il doit parfois s'incliner lorsqu'il est confronté à d'autres impératifs fondamentaux. Or, le secret professionnel s'impose de manière particulièrement impérieuse au notaire. Aux termes du règlement national de la profession, « le secret professionnel du notaire est général et absolu » (Règl. art. 3.4). Le Code pénal sanctionne lourdement sa violation : un an de prison et 15 000 euros d'amende (C. pén. art. 226-13 ; voir également, R. Crône, Le notaire ne saurait se voiler la face devant les risques de responsabilité pénale : Sol. Not. 6/14 inf. 137 n° 14). Les Hauts Magistrats relèvent toutefois le tempérament que peut y apporter la loi, « soit qu'elle impose, soit qu'elle autorise la révélation du secret ». C'est par exemple le cas en matière de lutte contre le blanchiment, s'agissant de la déclaration de soupçon que doit effectuer le notaire dans certaines situations. Une disposition expresse prévoit d'ailleurs qu'aucune poursuite fondée sur l'atteinte au secret professionnel ne peut être engagée contre le déclarant de bonne foi (C. mon. fin. art. L 561-22, I). Mais hormis ce type d'hypothèse, le secret professionnel doit prévaloir. Il en va à notre avis de l'essence même de la mission du notaire, « confident nécessaire de ses clients » (Règl. art. 3.4).
Extrait de l'Arrêt
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 16 avril 2012), qu'agissant en nullité de deux ventes immobilières à réméré qu'ils avaient, par actes authentiques des 24 février 2001 et 16 mai 2001, consenties à M. T., pour un prix payé, pour l'essentiel, par voie de compensation conventionnelle avec des dettes préexistantes, M. et Mme P. ont produit aux débats, comme preuves du dol ou des pactes commissoires prohibés qu'auraient recélés ces ventes, quatre lettres que le notaire instrumentaire, M. Z., avait adressées à l'acquéreur et à son mandataire, M. B., entre le 30 mai 2004 et le 21 janvier 2005 ;
Sur le premier moyen, qui est recevable :
Attendu que M. et Mme P. font grief à l'arrêt de déclarer ces pièces, communiquées sous les n° 14, 15, 16 et 17, irrecevables comme couvertes par le secret professionnel, alors, selon le moyen, que la nécessité de respecter le secret professionnel doit être conciliée avec le droit à la preuve ; qu'en écartant des débats les pièces produites par M. et Mme P. sous les numéros 14, 15, 16 et 17 au prétexte qu'il s'agissait de correspondances couvertes par le secret professionnel sans rechercher si la production de ces pièces qui, selon ses propres constatations, traitent des relations que M. Z., M. B. et M. T. avaient entretenues à l'occasion de la préparation des actes authentiques de vente à réméré objet du présent litige, n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve des époux P. et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu que le droit à la preuve découlant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut faire échec à l'intangibilité du secret professionnel du notaire, lequel n'en est délié que par la loi, soit qu'elle impose, soit qu'elle autorise la révélation du secret ; qu'ayant exactement retenu que les lettres produites évoquant les relations que leur auteur, M. Z., notaire, avait entretenues avec l'acquéreur et son intermédiaire, M. B., à l'occasion de la préparation des actes de ventes à réméré litigieux, étaient couvertes par le secret professionnel, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d'écarter ces pièces des débats ;
Sur le second moyen :
Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ;
Condamne M. et Mme P. aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille quatorze.
Source : Editions Francis Lefebvre
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