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Date 06/02/2018
Une fois n'est pas coutume, ce billet sera d'humeur.
Car l'actualité juridique brûle parfois sur l'hôtel du politique.
Le 11 janvier 2018 a eu lieu la présentation des dispositions du projet de loi asile-immigration auprès des Associations et des ONG.
Ces-dernières n'ont eu, depuis, de cesse de nous alerter sur la gravité de son contenu dans le cadre de concertations précipitées (La Cimade, Human Rights Watch, Amnesty International, etc).
Pour seule réponse, l'exécutif s'attache à discréditer ces organisations pour délégitimer le contenu de leurs révoltes (Discours d'E. Macron à Calais du 16 janvier 2018).
Il convient de s'interroger sur le caractère " Républicain " de telles man?"uvres et de tels discrédits sans fondements.
Mais de l'Humanité, s'il s'en sert à force d'acclamations et de discours, l'exécutif ne saurait mieux la desservir en la vidant de son contenu.
On tente d'appréhender dans un même texte l'asile et la migration, le réfugié et le migrant, notant un glissement de l'asile vers les considérations classiques de l'immigration régulière - irrégulière.
Cette Loi de 1832 avait consacré, après de vifs débats parlementaires, une différence conceptuelle entre le réfugié et le migrant.
Cette conception (toute insuffisante et contestable qu'elle soit) a structuré, jusqu'alors, nos politiques nationales et européennes.
A l'époque, Casimir Périer, président du Conseil, s'exprime en ces termes durant les travaux parlementaires :
" on invoque en faveur de ces réfugiés la politique : nous n'invoquons, nous, que l'humanité. (...) La France ne s'engage qu'à secourir le malheur ; le malheur contracte, dès lors, l'obligation de reconnaître un bienfait "
Est, dans cette ligne, consacrée une conception de l'asile liée à l'Humanité, laquelle est déjà restrictive de celle prônée par ce qui correspondrait aujourd'hui à la gauche de l'échiquier (C. Mondonicco-Torri, 2000).
Puisque nous parlons " Humanité ", laissons-nous tenter par une définition du terme, en ce sens de " traiter quelqu'un avec humanité " :
" Disposition à la compréhension, à la compassion envers ses semblables, qui porte à aider ceux qui en ont besoin " (Dictionnaire Larousse)
Tentons maintenant de chercher dans ce texte ce qui peut être assimilé comme la disposition à la compréhension, a la compassion ; en bref, à la bienveillance.
La réponse est claire : il n'y en a aucune, bien au contraire.
" toute personne qui, (...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays " (Convention de Genève, 1951)
Le droit de chercher asile (et non-seulement de l'obtenir) est un droit fondamental (Article 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948).
Dans le cadre des dispositions de ce projet, on peut notamment noter une réduction des délais de 120 à 90 jours pour déposer une demande d'asile, et une réduction des délais de 30 à 15 jours pour faire un recours devant la Cour Nationale du Droit d'Asile.
On exige donc que des personnes persécutées, ayant subi un voyage de plusieurs mois en traversant des atrocités indicibles, soient capables, en 3 mois, de trouver l'information sur les modalités des demandes d'asile, et de s'exprimer de manière claire et cohérente sur leur vécu.
Lorsque parallèlement, certains justifient que l'omission suite à des chocs post-traumatiques puissent justifier l'absence de prescription des viols, notamment.
Ou alors, le demandeur d'asile ne serait-il pas un Homme comme les autres ? Et la bienveillance, l'Humanité, à géométrie variable ?
De plus, avec ce projet, on assisterait à l'organisation des audiences par vidéoconférence, à la suppression du droit au maintien sur le territoire dès la lecture d'une décision de la Cour Nationale du Droit d'Asile et non à compter de la notification, à la possibilité de placer les déboutés en rétention pour 4 mois, à la suppression du caractère suspensif du recours CNDA pour les personnes originaires de " pays surs ", etc.
Le débouté est ainsi " puni " d'avoir osé sollicité l'asile, consacrant l'idée sous-jacente d'extrême droite que tout débouté serait un fraudeur, une personne de mauvaise foi ayant voulu " profiter " du système.
Le demandeur d'asile débouté est traité comme un prévenu d'infractions pénales (et, avec la vidéoconférence des audiences, plus durement encore !).
Par ce projet de loi " Asile et Immigration ", le demandeur d'asile est avant tout un migrant irrégulier en puissance, une personne à expulser en devenir.
Or, faut-il rappeler que ces considérations, simplistes, populistes, sont tout simplement erronées ?
Ce débat a déjà eu lieu, mais la mémoire publique est bien courte...
Or, toute professionnelle des comptes qu'elle est, ladite Cour en faisait, à ce sujet, des erronés, en voulant démontrer que prétendument seuls 1% des déboutés " expulsables " l'étaient réellement :
Oubliant ainsi que des titres de séjours (types étrangers malades, 6500 chaque année, ou parents d'enfants français, 9000 chaque année) étaient délivrés à de nombreux " déboutés de l'asile " ;
Oubliant que ce chiffre prenait en considération des personnes devant être renvoyés dans des pays qui torturent, et appliquent la peine de mort ;
Oubliant que le coût de l'asile n'était pas l'intégralité de la ligne comptable qu'elle retenait.
Oubliant ainsi que " le système français d'asile produit des " ni-ni ", des déboutés non expulsables, quand l'Allemagne a inventé un " statut d'indulgence " les autorisant à vivre sur le territoire " (Le
Monde, 14 avril 2015).
Oubliant aussi que la France n'a jamais respecté son engagement de relocaliser les réfugiés identifiés par l'instance Onusienne chargée de les identifier (le Haut-Commissariat aux Réfugiés), accueillant effectivement 21,7% du nombre de personnes qu'elle s'est engagée à accueillir.
Oubliant encore que le taux de reconnaissance des demandes d'asile en France (16%) est en deçà de la moyenne européenne (17%), mais surtout en deçà de pays tels que l'Italie (46%), l'Autriche (40%), le Royaume-Uni (52%), laissant penser à de fortes disparités dans le traitement de l'asile entre les pays européens (Eurostats).
Aussi, il ne peut être exclu qu'une personne déboutée en France aurait pu être accueillie dans un autre pays européen.
Partant, l'octroi ou le refus d'une demande d'Asile est, aussi, un choix politique.
Plus généralement, s'inscrivant dans votre soucis, Monsieur Macron, d'externaliser la gestion de nos frontières extérieures dans les pays d'origine, vous souhaitez que demain la France accueille des personnes détentrices du droit d'asile sans leur donner le droit effectif de venir le chercher.
Que d'hypocrisies.
Monsieur Macron, c'est bien une " Révolution Copernicienne ", élément de langage que vous chérissez temps, que vous nous proposez.
Sans vagues aucune, sans le nécessaire débat de société que cela impose de fait.
Et tout cela, en osant user du terme Humanité.
A tout le moins, auriez-vous pu choisir un autre slogan de novlangue que celui déjà usité, en 2015, pour la dernière Loi concernant l'asile, voyez plutôt :
" Cette réforme adoptée le 15 juillet 2015, répond au souci permanent de l'équilibre entre humanité et fermeté (...) " (Communiqué de presse - Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015)
L'équilibre a-t-il changé ?
Ou est-ce notre conception de l'Humanité ?
Un second tour face à Marine Le Pen élève sans doute la tentation d'en redéfinir certains, et d'en briser d'autres, le tout sous un même vocable.
L'Histoire a pourtant démontré à quels maux pouvaient conduire la redéfinition du sens des mots.
Il est intéressant de souligner que la première crise du droit d'asile date des années trente, dans un contexte de crise économique, parallèlement à une montée des régimes
totalitaires...
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il serait bon, Monsieur Macron, si vous ne souhaitez fleurter avec les extrêmes, et si le but de votre action est leur éviction, d'en tirer quelques leçons.
Car " ce qui importe avant tout, c'est que le sens gouverne le choix des mots et non l'inverse. En matière de prose, la pire des choses que l'on puisse faire avec les mots est de s'abandonner à eux " (Georges Orwell).
Et pour lutter contre les extrêmes, ceux qui ont réussi n'ont de cesse de nous le rappeler, " nous devons tous apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons tous mourir ensemble comme des idiots " (Martin Luther King).
Camille Menu
Avocat au Barreau de Lyon
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