La mise à disposition gratuite et prolongée d’un logement à un enfant majeur peut être fondée sur une obligation d’entretien ou être considérée comme une donation indirecte. Quel est l'âge de votre soeur? A-t-elle une activité professionnelle rémunérée?
Rappel des règles :
Si l'aide familiale relève logiquement de l’obligation d’entretien, elle peut dans certains cas être considérée comme une donation indirecte, avec de lourdes conséquences.
- La mise à disposition gratuite d’un logement des parents à l’un de leurs enfants majeurs peut être justifiée par leur obligation d’entretien envers cet enfant (articles 371-2 et 203 du Code civil).
Cette obligation d’entretien résulte du lien de filiation. Elle est indépendante de la situation matrimoniale du parent (mariage, PACS, concubinage, veuvage, divorce, célibat).
L’article 371-2 alinéa 2 du Code civil précise que « cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ».
Ainsi si l’enfant majeur ne peut pas subvenir seul à ses besoins, ses parents sont tenus de l’aider financièrement notamment en lui payant son loyer, ou par le biais d’avantages en nature comme la mise à disposition gratuite d’un logement.
Dans la pratique, cette obligation d’entretien paraît limitée aux enfants majeurs étudiants qui n’ont pas ou peu de revenus, mais elle concerne également les enfants majeurs fragiles (recherche d’emploi, maladie…).
Dans cette situation, la mise à disposition gratuite du logement au profit d’un enfant majeur ne révèle d’aucune intention libérale des parents, et n’a pas de conséquences sur l’égalité entre les enfants.
Dans ces conditions, l’avantage n’est donc pas pris en compte lors du règlement des successions des parents.
L’obligation d’entretien rejoint l’obligation alimentaire qui lie les parents et les enfants (articles 205 et suivants du Code civil).
Cette seconde obligation parentale permet également de justifier la mise à disposition gratuite d’un logement à un enfant majeur sans ressource.
Dans ces deux cas, obligation d’entretien et obligation alimentaire, si l’enfant est dans le besoin, aucune libéralité ne peut être caractérisée, quelle que soit la durée de l’aide familiale.
En revanche, la mise à disposition prolongée gratuite d’un logement par des parents à un enfant majeur qui dispose d’une situation stable avec des revenus confortables, peut difficilement être qualifiée d’obligation d’entretien ou d’obligation alimentaire.
Donation indirecte :
La donation indirecte peut être caractérisée lorsque l’enfant a fini ses études et dispose de revenus lui permettant de se loger, mais qu’il occupe gratuitement un bien immobilier appartenant à ses parents.
La question de la libéralité consentie par les parents se pose en présence d’une pluralité d’enfants. Dans ce cas l’occupation gratuite, exclusive et prolongée d’un bien immobilier par l’un des enfants constitue un véritable avantage qui peut entraîner un problème d’égalité entre eux.
Une occupation du logement non exclusive, de courte durée, ou assortie d’une obligation envers le parent, notamment une obligation de soin, demeure une entraide familiale sans conséquences.
La donation est un contrat qui nécessite l’intention libérale des parents (ce qui constitue l’élément intentionnel) et le dessaisissement d’un de leur bien ou de son usage (ce qui constitue l’élément matériel).
La qualification de donation indirecte implique un appauvrissement des parents et un enrichissement corrélatif de l’enfant.
Quid dans le cas de la mise à disposition gratuite prolongée d’un logement appartenant aux parents ?
En l’espèce, les parents, propriétaires ou usufruitiers, se privent de la perception de revenus locatifs (constituant souvent un complément de revenus important pour la retraite). De son côté, l’enfant n’a pas à verser quoique ce soit pour se loger, ce qui lui permet de se constituer une épargne.
Une donation indirecte portant sur les revenus pourrait ainsi être caractérisée.
En outre l’article 851 du Code civil prévoit expressément le rapport de la donation de fruits ou de revenus, sauf clause contraire. Le rapport de cet avantage permet d’assurer l’égalité entre les enfants.
Constituant une libéralité, cette donation serait également prise en compte pour le calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible.
La jurisprudence de la Cour de Cassation est abondante en la matière.
Effectivement, les enfants n’ayant pas bénéficié de cet avantage en nature s’estiment souvent lésés et réclament en justice sa prise en compte en tant que libéralité rapportable à la succession de leurs parents.
Les juges sont particulièrement strictes sur l’appréciation des conditions de la donation indirecte. La première Chambre civile de la Cour de Cassation a confirmé le 16 décembre 2020 la jurisprudence antérieure, en affirmant que faute pour les juges du fond de caractériser l’intention libérale des parents, et à défaut pour l’enfant réclamant la qualification de donation de démontrer le caractère gratuit de l’occupation par sa sœur, aucune libéralité n’est caractérisée (Cass. 1ère civ., 16 déc. 2020, n°19-1
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Concrètement, il peut être difficile pour un enfant mécontent de prouver l’intention libérale des parents. A ce sujet, les juges ont retenu qu’un testament du parent, même révoqué, peut servir de preuve de l’intention libérale, lorsqu’il mentionne cet avantage et son caractère rapportable (Cass. 1ère civ., 19 mars 2014, n° 13-14.139).
A défaut pour le cohéritier de démontrer l’intention libérale, l’avantage ne constitue qu’une aide familiale sans conséquences.
La qualification de donation en cas d’hébergement de l’enfant majeur au domicile des parents a ainsi été refusée par les juges, faute d’appauvrissement de ces derniers (Cass. 1ère civ., 1ère 3 mars 2010, n° 08-20.42
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Un arrêt de la Cour de Cassation de mars 2022 (1ère Civ. 2 mars 2022) a néanmoins considéré l’intention libérale dans le cas de l’occupation gratuite par un enfant nu-propriétaire d’un bien immobilier consentie par une mère usufruitière. Cet avantage est alors rapportable à la succession de celle-ci. Le montant du rapport correspond aux loyers qui auraient pu être perçus, après déduction des charges incombant à l’usufruitière.
En pratique, si la libéralité peut être caractérisée, la valeur locative du bien sera retenue pour déterminer le montant de l’avantage rapportable, après application éventuelle d’une décote justifiée par la précarité de l’occupation de l’enfant.
L’enfant avantagé devra donc rapporter aux successions de ses parents les loyers non versés pendant toute la durée d’occupation, soit en versant une indemnité aux autres membres de la fratrie, soit en réduisant sa part dans la succession.
Il paraît donc essentiel de prévenir les risques liés à une mise à disposition gratuite prolongée non encadrée juridiquement.
comment prévenir tout contentieux familial ?
Pour éviter tout conflit familial, mieux vaut acter cette mise à disposition d’un logement en lui conférant un cadre juridique précis. Pour cela, il est possible de recourir au prêt à usage, à la donation d’usufruit temporaire et préciputaire ou à l’exclusion du rapport par testament.