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Dans une décision du 30 mars 2022 opposant la Commune de Henin-Beaumont au quotidien La Voix du Nord, la Cour d'appel de Paris rappelle les critères dégagés par la jurisprudence afin d'apprécier si un portrait photographique est protégé par le droit d'auteur.
Un photographe employé par la commune de Henin-Beaumon, avait pris en photo une championne de boxe anglaise locale et le cliché avait été diffusé sur la page Facebook de la commune. Un mois après, la commune découvrait que le quotidien régional La Voix du Nord avait publié cette photographie au sein de son édition papier et sur son site Internet, sans son autorisation. À défaut de solution amiable, la commune assignait en contrefaçon de droit d'auteur le média devant le Tribunal de grande instance de Paris. Déboutée par la juridiction de premier degré, la commune interjetait appel de la décision.
Dans un premier temps, le quotidien régional contestait la titularité de la commune sur la photographie. En effet, l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la réalisation d'une oeuvre dans le cadre d'un contrat de prestation de services ou d'un contrat de travail n'emporte pas cession des droits d'auteur. Seule un cession écrite respectant le formalisme prévu aux articles L. 131-1 et suivants du même Code emporte cession de droits sur les créations de l'employé. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit néanmoins une cession automatique au profit de l'Etat lorsque son employé réalise une création dans le cadre de ses fonctions ou sur instruction. Cette cession automatique ne concerne toutefois pas les exploitations commerciales de l'oeuvre créée par l'agent de l'Etat.
Pour pallier aux difficultés résultant de l'absence de cession formelle, la jurisprudence a créé une présomption de titularité au profit de la personne physique ou morale qui exploite l'oeuvre sous nom. En l'absence de revendication du ou des auteurs, y compris s'ils sont identifiés, l'exploitant est présumé être titulaire. En l'espèce, l'employé de la commune de Henin-Beaumont n'avait émis aucune revendication quant à l'exploitation de sa photographie sur la page Facebook. Par ailleurs, l'employé attestait également avoir réalisé la photographie dans l'exercice de ses fonctions et pour les besoins de la communication de la commune. Aucune équivoque ne ressortait de l'exploitation de cette photographie par la commune, laquelle est donc présumée titulaire des droits d'auteur et pouvait, à ce titre, agir en contrefaçon à l'encontre de La Voix du Nord.
Si une oeuvre est protégée par l'auteur sans formalité, celui qui fait valoir ses droits dessus en justice doit, lorsque la protection est contestée, démontrer son originalité. La notion d'"oeuvre" au sens du droit d'auteur doit en effet refléter la personnalité de son auteur en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier, l'effet esthétique étant indifférent pour caractériser l'originalité. En matière de portrait photographique, la jurisprudence a dégagé une grille d'analyse propre, distinguant trois phases lors desquelles le photographe est susceptible de faire des choix créatifs. Ainsi, au stade de la phase préparatoire, l'auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l'éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l'angle de prise de vue ou encore l'atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l'auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu'il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l'emploi de logiciels. Ces différents choix permettent au photographe de portrait d'imprimer sa "touche personnelle" sur la photographie.
Dans le cadre du portrait de la boxeuse, la Cour d'appel relève que "le fait que Mme M. porte sa ceinture de championne de France de boxe, qu'elle soit photographiée sur un ring dans des conditions ne révélant aucun choix spécifique de lumière ni aucune mise en scène, ne caractérise pas des choix arbitraires du photographe". Puis, les magistrats notent que "le fait qu'elle esquisse un sourire, ce qui est tout à fait habituel en matière de portrait, ne constitue pas davantage un choix libre et créatif". Enfin, il souligne que la suppression par le photographe au moment du tirage d'un hématome de la boxeuse sur son arcade "ne constitue pas une empreinte de la personnalité de l'auteur". La Cour d'appel conclue en énonçant que la commune "n'établit que [le photographe] se soit affranchi de simples contraintes techniques et/ou liées à ce qui s'apparente à un travail de commande d'un portrait d'une boxeuse photographiée dans la salle d'entraînement". Dès lors, en absence de choix créatif du photographe, la photographie ne pouvait bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur. La commune est donc déboutée de ses demandes.
Si une action en contrefaçon de droit d'auteur est conditionnée à la démonstration des choix créatifs de l'auteur, tel n'est pas le cas d'une action en parasitisme fondée sur l'article 1240 du Code civil. En effet, est la jurisprudence considère qu'est fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier. La commune ou le photographe aurait peut être eu plus de chances de succès sur ce fondement.
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