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Le 17 juillet dernier, le Conseil d'État a retoqué un arrêté municipal pris par la commune de Mandelieu concernant l'interdiction des burkinis à la plage. Cette décision de la plus haute juridiction administrative se situe dans la droite ligne de ses jurisprudences précédentes et réitère l'attachement des juges à l'application des grands principes de droit qui régissent la protection des libertés individuelles.
Cette nouvelle décision démontre également que le débat sur les tenues à forte connotation religieuse suscite encore de larges controverses.
Tous les signes d'appartenance religieuse ne sont pas concernés par la controverse.
Seules les tenues qualifiées d'ostentatoires ou à forte connotation religieuse sont concernées : parmi celles-ci, le burkini, vêtement de bain porté par les femmes.
Le burkini est un type de maillot de bain qui couvre le corps entier, y compris les bras, les jambes et la tête, porté par certaines femmes musulmanes qui souhaitent respecter leur foi tout en participant aux activités aquatiques.
Le burkini est apparu en France dans les années 2000 et suscite, depuis lors, débats et controverses au sein de la société.
Le Conseil d'État a récemment suspendu l'arrêté d'une commune du sud-est de la France, Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), qui interdisait le port du burkini sur les plages.
Le maire de Mandelieu-La-Napoule avait interdit l'accès aux plages publiques de sa commune et la baignade, entre le 15 juin et le 31 août 2023, à toutes les personnes " ayant une tenue ne respectant pas les règles d'hygiène et de sécurité ou étant susceptible d'entraîner des troubles à l'ordre public, voire des affrontements violents ".
Bien que libellée dans des termes très généraux, cette mesure visait uniquement le burkini comme tenue susceptible de susciter des troubles à l'ordre public.
L'arrêté d'interdiction a été contesté en référé par la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) devant le tribunal administratif de Nice qui avait rejeté sa demande.
La ligue des Droits de l'Homme avait alors saisi le Conseil d'État qui a annulé la décision du tribunal administratif de Nice et suspendu l'exécution de l'arrêté municipal litigieux.
La jurisprudence de la haute juridiction administrative, désormais constante, impose que l'interdiction de l'accès aux plages aux personnes portant une tenue manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse, telle que le burkini, doit être justifiée " par un risque actuel et avéré pour l'ordre public ",
Or la commune de Mandelieu ne justifiait d'aucun incident récent, n'évoquant en l'espèce que des faits survenus il y a sept et onze ans et le contexte général de menace terroriste après les attentats de Nice en 2016.
La commune de Mandelieu n'ayant donc pas démontré l'existence d'un tel risque actuel et avéré, la haute juridiction a estimé que cette interdiction portait atteinte de manière grave et illégale à trois libertés fondamentales : la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.
Cette décision succède à une ordonnance du Conseil d'État du 26 septembre 2016 qui avait déjà suspendu l'exécution d'arrêtés anti-burkini édictés par les maires de certaines communes pendant l'été 2016.
En 2016, certains maires de villes balnéaires françaises avaient en effet déjà décidé d'interdire le port du burkini sur les plages, invoquant des raisons liées à la laïcité, la sécurité et l'émancipation des femmes.
Le Conseil d'État avait alors déjà été saisi de la question et avait ordonné le 26 septembre 2016 la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Cagnes-sur-Mer en date du 24 août 2016 après qu'une ordonnance du tribunal administratif de Nice eut d'abord rejeté la demande de suspension le 12 septembre 2016.
Les juges avaient alors déjà constaté que le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l'accès à la plage et la baignade aux personnes portant des tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse.
L'arrêté litigieux portait une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.
Il convient de rappeler que dans le cadre de ses pouvoirs de police, le maire doit concilier l'accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois.
Or les lois applicables au sein de l'espace public diffèrent de celles relatives aux services publics, régis, eux, par les principes de neutralité et de bonne organisation du service.
Au sein de l'espace public, chacun jouit donc des libertés garanties par la loi.
Les maires, dans le cadre de leur mission de maintien de l'ordre, ne peuvent y porter atteinte que pour prendre des mesures adaptées, nécessaires et proportionnées.
Ces mesures doivent tenir compte des circonstances de temps et de lieu et être justifiées par des impératifs d'ordre public.
Il en va notamment ainsi en ce qui concerne les mesures que le maire d'une commune du littoral peut prendre pour organiser l'accès à la plage et garantir la sécurité de la baignade, l'hygiène et la décence.
Il en résulte que les mesures de police que le maire d'une commune du littoral édicte en vue de réglementer l'accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l'ordre public, telles qu'elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu'impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l'hygiène et la décence sur la plage.
Il n'appartient donc pas au maire de se fonder sur d'autres considérations et les restrictions qu'il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques actuels et avérés d'atteinte à l'ordre public.
Par conséquent, depuis ces décisions, le port du burkini sur les plages françaises est en principe autorisé et la décision du 17 juillet 2023 ne fait que confirmer cet état de droit rappelé en 2016.
En France, la loi garantit la liberté de religion et de conviction, ce qui signifie que les personnes ont le droit de porter des tenues à tendances religieuses dans la plupart des espaces publics, y compris sur les plages.
Malgré ces décisions judiciaires, le débat sur le burkini et la laïcité continue de susciter des opinions diverses au sein de la société française.
Certains estiment que le burkini est un symbole d'oppression des femmes, tandis que d'autres considèrent que son interdiction limite la liberté religieuse et le droit des femmes de porter la tenue de natation qu'elles souhaitent, mais cependant pas partout.
Si le Conseil d'État protège la liberté individuelle et religieuse et permet que l'on s'habille comme bon nous semble sur les plages et l'espace public, il en va différemment dans le piscines municipales et l'organisation du service public.
En effet, le Conseil d'État était saisi pour la première fois d'un recours dans le cadre du " référé laïcité " issu de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
Par ordonnance du 25 mai 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble avait prononcé la suspension du nouveau règlement des piscines de la ville de Grenoble qui autorisait expressément le port du " burkini ".
Saisi d'un appel de la commune, le 21 juin 2022, le Conseil d'État confirmait cette suspension en expliquant que cette dérogation aux règles de droit commun de port de tenues de bain près du corps édictées pour des motifs d'hygiène et de sécurité, édictée pour satisfaire une revendication religieuse, était de nature à affecter le bon fonctionnement du service public et l'égalité de traitement des usagers dans des conditions portant atteinte au principe de neutralité des services publics.
L'avocat de la Ligue des Droits de l'Homme, Maître Patrick SPINOSI rappelle : " N'en déplaise à certaines communes, l'état de notre droit sur la question n'a pas vocation à changer. La règle est claire : il est interdit à un maire d'interdire le port de signes religieux dans l'espace public ".
Les tenues religieuses à la plage oui, à la piscine non.
Décision du 17 juillet 2023
Ordonnance du 26 septembre 2016
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2016-09-26/403578
Ordonnance du 21 juin 2022
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-06-21/464648
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