123 partages |
Peu importe la régularité de la relation de travail stricto-sensu, l'emploi d'un salarié étranger sans titre est une infraction qui permettait à l'OFII, Office français de l'immigration et de l'intégration, jusqu'au 26 janvier dernier, de prononcer une importante amende administrative. Le volet " travail " de la loi " pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration " (n° 2024-42), en vigueur depuis le 28 janvier, a modifié cette sanction administrative, tout en renvoyant à des décrets d'application pour les détails de sa mise en ?uvre.
L'article L. 8251-1 du Code du travail est clair : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit, un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Cette interdiction est également applicable lorsque le salarié possède un titre, mais que l'employeur l'embauche pour une profession ou dans une zone géographique autres que celles mentionnées dans son titre.
Le salarié étranger, lui, possède les mêmes droits que n'importe quel autre salarié. En réalité, il est même considéré comme une victime de son employeur et a donc la possibilité de demander le rappel de certains droits. Il pourra par exemple demander à bénéficier d'un titre de séjour régularisant sa situation. En revanche, pour ce qui est de l'employeur, il sera considéré comme ayant commis le délit de travail illégal.
Le constat pourra être réalisé par voie de procès-verbal, lors d'un contrôle administratif effectué par la Gendarmerie, la Police, l'Inspection du Travail ... (contrôles souvent effectués via les CODAF, Comité opérationnel départemental de lutte anti-fraudes). La loi " immigration " n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a étendu la faculté de constat, non plus aux seuls procès-verbaux, mais également aux rapports de l'inspection du travail, ce qui augmentera mathématiquement le nombre de sanctions de ce type.
L'employeur contrôlé aura principalement deux moyens de défense.
Premièrement, il pourra indiquer que la personne contrôlée sans papiers n'est pas son salarié. En effet, le Conseil d'Etat considère que l'existence d'une situation de travail repose sur la réunion des classiques éléments du contrat de travail dégagés par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 juillet 1954, à savoir, un travail, un lien de subordination et une rémunération (Cass. Soc., 22 juillet 1954 ; Bull. civ. 1954, IV, n° 476). Il estime constamment que : "la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique, fût-il indirect, de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant".
Deuxièmement, de nombreux employeurs se font parfois abuser par leur salarié qui achètent de faux titres de séjour, voire de faux titres d'identité d'un État européen. Qu'ils soient au courant de la réelle identité de leur salarié ou bien pas, la jurisprudence est parfaitement balisée en la matière.
A ce sujet, le Conseil d'État considère que : " un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions lorsque, tout à la fois, il s'est acquitté des vérifications qui lui incombent, relatives à l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, en vertu de l'article L5221-8 du Code du travail, et n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un État pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité " (CE, 12 octobre 2018, Ass., n° 408567).
Après rédaction, les procès-verbaux de constat ou rapports de contrôle sont transférés au ministre de l'Intérieur qui sera chargé de mener une procédure contradictoire et éventuellement d'appliquer la sanction. Le flou demeure sur le contenu de cette procédure qui doit être détaillé dans un futur décret.
Pour l'heure, il est tout de même possible de prévoir que s'agissant d'une sanction administrative, l'article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l'administration obligera nécessairement le ministre à informer la personne visée dans le procès-verbal (ou rapport de contrôle) de l'engagement d'une procédure à son encontre et de la possibilité de présenter des observations. Le délai laissé à l'employeur devra nécessairement être un " délai raisonnable " (actuellement, fixé à 15 jours à compter de la réception du courrier).
Il est clair que la jurisprudence prévalant actuellement, non seulement sur la possibilité d'accéder au procès-verbal sur demande, dans le délai laissé pour présenter ses observations (CE, EURL DLM Sécurité, 29 juin 2016, N° 398398), mais également sur l'obligation pour l'administration d'inscrire cette possibilité dans le courrier à destination de l'employeur (CE, 30 décembre 2021, N° 437653), prévaudra également, dans le cadre de cette nouvelle amende.
Dans le délai prévu pour présenter des observations, l'employeur pourra également exiger d'être reçu par les services du ministre, afin de présenter des observations orales.
A l'issue de la période contradictoire, et en l'absence d'éléments à décharge de l'employeur, le ministre sanctionnera l'employeur. La nouvelle sanction consiste en une amende administrative unique qui remplace les deux sanctions précédentes (contribution forfaitaire et contribution spéciale). Une circulaire du 5 février dernier signée des ministres de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et de la Justice, Éric Dupond-Moretti, précise qu'elle sera prononcée par les services de la direction de l'immigration de la DGEF (Direction générale des étrangers en France).
Pour ce qui est du montant de l'amende, l'article L. 8253-1 du Code du travail énonce que " lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière ".
Ce montant de l'amende nouvelle est borné à un maximum de 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti (actuellement 4,15 €, soit 20 750 euros ). Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux (soit 62 250 euros). L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés.
Un employeur sanctionné pourra bien évidemment contester tant le principe que le montant de l'amende. Il pourra former à l'encontre de la sanction un recours gracieux ou contentieux, dans les deux mois de sa notification. Parallèlement, il pourra contester le titre de recette de la DDFIP, ce qui aura pour effet de suspendre le recouvrement de la créance.
De nombreux arguments peuvent être invoqués. Sur la forme d'abord : la décision doit être motivée en droit comme en fait et comporter le nom, prénom et la fonction de son signataire. La procédure contradictoire doit avoir été respectée. Surtout, sur le fond, l'employeur pourra faire valoir l'absence d'élément intentionnel : il n'est pas rare que des étrangers se procurent de faux documents d'identité ou de faux titres de séjour. Enfin, il pourra également plaider l'absence de lien de subordination, élément essentiel à caractériser l'existence d'une relation de travail.
Une question en Nos avocats vous répondent gratuitement | 83%de réponse |
* Durant les 60 dernièrs jours
Offre et délai minimum transmis par un avocat sur Alexia.fr au cours des 30 derniers jours dans au moins une région.