La condamnation pour harcèlement moral institutionnel : un cadre juridique
La décision de la Cour de cassation repose sur l'article 222-33-2 du Code pénal, qui sanctionne le harcèlement moral au travail. Cette infraction, classiquement envisagée dans une relation interpersonnelle entre un auteur et une victime déterminée, a été interprétée de manière extensive pour englober des situations où une politique d'entreprise dégrade généralement les conditions de travail. En l'espèce, la société avait mis en place un plan de réduction d'effectifs touchant 20 000 agents ainsi qu'un plan de mobilité interne affectant 10 000 autres salariés.
Ces mesures, contestées par un syndicat, ont été jugées comme portant atteinte aux droits et à la dignité des salariés, altérant leur santé physique et mentale, et compromettant leur avenir professionnel. La Cour d'appel avait déjà retenu la qualification de harcèlement moral institutionnel, estimant que les dirigeants avaient appliqué en toute connaissance de cause une politique portant gravement atteinte aux salariés. La Cour de cassation a confirmé cette analyse, reconnaissant que le harcèlement moral ne suppose pas nécessairement des actes répétés à l'égard d'une victime individualisée.
Une jurisprudence à fort impact pour la gouvernance d'entreprise
Cette décision marque un tournant en matière de responsabilité des dirigeants. Elle clarifie le fait que le harcèlement moral institutionnel ne nécessite pas une relation directe entre un auteur et une victime, mais peut résulter d'une stratégie managériale globale ayant des répercussions néfastes sur l'ensemble des salariés.
Face aux arguments des dirigeants qui invoquaient l'imprévisibilité de l'interprétation retenue de la loi pénale, la Cour de cassation a écarté cette défense en estimant que l'application de l'incrimination à une situation nouvelle ne constitue pas un revirement de jurisprudence. De plus, elle a souligné que des dirigeants de haut niveau avaient les moyens de s'entourer de conseils juridiques avisés pour anticiper de telles conséquences.
Ainsi, cette jurisprudence envoie un message fort aux entreprises : les politiques internes ayant un impact direct sur les conditions de travail peuvent engager la responsabilité pénale des dirigeants. Il s'agit d'une incitation à une plus grande vigilance dans la mise en place de restructurations, afin d'éviter toute atteinte aux droits fondamentaux des salariés.
Conclusion
L'arrêt rendu ce 21 janvier 2025 par la Cour de cassation confirme l'évolution de la jurisprudence en matière de harcèlement moral au travail. En reconnaissant la responsabilité pénale des dirigeants pour harcèlement moral institutionnel, cette décision souligne l'importance de politiques managériales respectueuses des salariés. Les entreprises doivent désormais redoubler de prudence dans la gestion des restructurations et l'organisation du travail afin d'éviter toute dégradation systémique des conditions de travail pouvant conduire à des poursuites pénales.