65 partages |
Imaginer une réglementation mal faite et inutile pour contenter tel ou tel groupe de pression devient une spécialité de notre parlement et du gouvernement.
En revanche, nos brillants énarques ne semblent pas avoir bien saisi l'intérêt qu'il pourrait y avoir 1) à apprendre à écrire 2) à faire des lois utiles et applicables 3) à supprimer les vieilleries juridiques.
L'injonction de payer fait partie des deuxième et troisième catégories.
Voilà une procédure qu'il faudrait impitoyablement mener à l'échafaud.
Pour les chanceux qui ne la connaîtraient pas encore, voici ce qu'est l'injonction de payer.
Le débiteur ne règle pas son créancier. Ce dernier dépose alors une requête au tribunal, au soutien de laquelle il produira les justificatifs de sa créance. L'article 1405 du Code de Procédure Civile indique d'ailleurs que celle-ci doit avoir une cause contractuelle ou statutaire (les brillants techniciens ayant fait jaillir l'injonction de payer de leur cerveau fécond ne semblant pas avoir bien compris que des statuts sont un contrat...). Mais il y a mieux : le créancier peut aussi solliciter du juge une ordonnance d'injonction de payer lorsque sa créance résulte d'une lettre de change (escomptée ou non), d'un billet à ordre ou d'un bordereau Dailly.
Le montant de la créance doit être déterminé.
Après s'être acquitté de ses épices (pardon, du droit de timbre) et des éventuels frais de greffe, le créancier pourra obtenir du tribunal compétent une ordonnance portant injonction de payer au débiteur. Il faudra alors saisir un huissier, lequel procédera à la signification de l'ordonnance au débiteur. Bien sûr, le créancier doit faire l'avance des frais.
Notons que l'ordonnance d'injonction de payer n'a aucun caractère exécutoire (si le débiteur ne fait pas opposition dans les délais, le créancier pourra solliciter l'apposition de la formule exécutoire).
L'huissier va donc enjoindre le méchant débiteur de payer. Après avoir bien ri, le débiteur 1) vide ses comptes bancaires (ou se place sous sauvegarde si c'est une société 2) forme opposition à l'ordonnance 3) rit une seconde fois, parce que c'est bon pour la santé.
Eh oui : le débiteur peut former opposition à l'ordonnance portant injonction de payer dans le mois de la signification de celle-ci (article 1416 du CPC). Plus amusant encore : le délai est suspendu lorsque le débiteur sollicite le bénéfice de l'aide juridictionnelle, jusqu'à la décision définitive du bureau d'aide juridictionnelle.
L'opposition formée par le débiteur a pour effet de porter le contentieux au fond. Compter environ un an pour obtenir une décision. Si le créancier est chanceux, il n'obtiendra pas le bénéfice de l'exécution provisoire, si bien qu'il suffira au débiteur d'interjeter appel pour bénéficier d'un délai, rarement inférieur à un an et avoisinant souvent les deux ans, jusqu'au prononcé de l'arrêt d'appel.
Après avoir obtenu un bel arrêt et s'être endetté sur une douzaine de générations pour couvrir les frais de procédure, le créancier sera bien content d'apprendre qu'il peut fièrement afficher ledit arrêt dans son salon. Inutile en effet d'exposer de nouveaux frais de signification et de recouvrement, le débiteur a obtenu tout le temps nécessaire à l'organisation de son insolvabilité.
Voici donc exposée la redoutable efficacité de l'injonction de payer. Mais il y a encore plus amusant : l'ordonnance portant injonction de payer (ou le dépôt de la requête) n'interrompt pas le délai de prescription de la créance.
Lorsqu'un créancier sollicite mon concours afin d'obtenir le règlement d'une lettre de change impayée, j'ai la faiblesse de saisir immédiatement un huissier, lequel pratiquera directement sur les comptes du débiteur une saisie-attribution. Eh oui ami technocrate, tu sembles avoir oublié que la lettre de change est un titre exécutoire, tout comme un acte authentique ou un jugement.
Enfin, et en matière de créances impayées, il existe une procédure rapide : j'ai nommé le référé (civil ou commercial). On peut obtenir une ordonnance en deux mois, laquelle est exécutoire de plein droit par provision.
Avant d'engager cette procédure de référé, le créancier qui craint que le débiteur n'organise son insolvabilité pendant la procédure, peut aussi solliciter du juge l'autorisation de pratiquer des mesures conservatoires sur le patrimoine du débiteur. En règle générale, et lorsque les comptes du débiteur sont bloqués avant l'introduction d'un contentieux, celui-ci se montre, allez savoir pourquoi, beaucoup plus docile et conciliant.
Résumons : l'injonction de payer 1) n'a aucune valeur contraignante 2) avertit aimablement le débiteur que le créancier souhaite être réglé 3) permet au débiteur de gagner plusieurs mois, voire plusieurs années 4) permet finalement au débiteur de s'offrir des vacances avec l'argent qu'il ne paiera jamais au créancier.
Le lecteur aura compris que si par bonheur la vie de l'injonction de payer devait être menacée, je ne serai pas le dernier à applaudir.
1. Je vous dis bienvenue.
2. J'adore votre style
3. Je l'approuve tout autant que j'approuve le contenu.
Cela dit, je crains fort que votre intervention soit un coup d'épée dans l'eau.
A l'occasion d'une Q.P.C. qui sera plaidée ces jours ci devant le T.A.A.S., je viens de découvrir qu'on a inventé l'an dernier l'injonction de payer à la demande de la sécurité sociale pour remplacer la procédure par contrainte que je veux faire dire inconstitutionnelle.
A suivre.
Mon Cher Confrère,
Merci de vos encouragements et de ce commentaire (j'ignorais en effet que l'injonction de payer avait fait des petits...).
Pourriez-vous me tenir informé de ce que dira le Conseil Constitutionnel ?
Votre bien dévoué.
Une question en Nos avocats vous répondent gratuitement | 83%de réponse |
Offre et délai minimum transmis par un avocat sur Alexia.fr au cours des 30 derniers jours dans au moins une région.