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Par trois arrêts du 27 janvier 2010, le Conseil d'État vient de porter un coup fatal au caractère probant attaché au relevé d'information intégral sur lequel bon nombre de recours devant le tribunal administratif étaient basés.
Rappelons que le relevé d'information intégral est un document qui récapitule les différents retraits de points opérés sur le permis de conduire d'un automobiliste.
Ce document peut être sollicité par tout automobiliste auprès des services de la Préfecture.
Quelles sont les données du problème ?
L'automobiliste est informé de l'état de son permis de conduire et du nombre de points qui lui reste selon quatre modes principaux:
Le formulaire 48 :
Ce document envoyé en lettre simple informe l'automobiliste du retrait de points opéré sur son permis de conduire à la suite d'une infraction.
À ce stade, le permis de conduire reste valable car il lui reste encore des points.
Le formulaire 49 M :
Le formulaire 49 M, est une décision ministérielle informant le conducteur de la perte de la moitié de son capital de points.
Le formulaire 48 SI :
Le formulaire 48 SI, est une décision ministérielle d'invalidation du permis de conduire de l'automobiliste avec injonction d'avoir à le restituer à la Préfecture de son lieu de domicile dans un délai de 10 jours.
À ce stade, le nombre de points affectés au permis de conduire de l'automobiliste est tombé à zéro.
Lors de la notification de ce formulaire 48 SI par courrier recommandé, l'automobiliste dispose d'un délai de 2 mois à compter de la première présentation de la lettre par le facteur pour engager une procédure et contester les retraits de points opérés par les autorités administratives.
Le relevé d'information intégral ou formulaire R2i :
Ce document est un vaste récapitulatif de la vie du permis de conduire de l'automobiliste et mentionne notamment les différentes décisions de retraits de points.
Tout administré peut contester devant le Tribunal Administratif une décision administrative lui faisant grief.
Un automobiliste peut donc contester devant cette juridiction une décision prise par le ministère de l'intérieur l'informant :
- soit du retrait d'un nombre déterminé de points sur son permis de conduire suite à la commission d'une ou plusieurs infractions;
- soit de l'invalidation de son permis de conduire lorsque le capital de points est tombé à zéro.
Or, le Tribunal Administratif ne se saisit pas n'importe comment, le requérant devant respecter certaines règles de recevabilité.
Ainsi, l'article R 412-1 du Code de Justice Administrative dispose :
"la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée ou, dans le cas mentionné à l'article R 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation."
Il s'avère que dans de nombreux litiges, l'automobiliste est incapable de produire la décision de retrait de points ou la décision d'invalidation du permis de conduire.
Pour cela, le requérant explique souvent qu'il n'a pas été destinataire de cette décision ou qu'il ne l'a plus en sa possession.
Dans ces conditions, et en l'absence de l'original de la décision contestée, le Tribunal Administratif était saisi sur la base du relevé d'information intégral qui, par définition, comportait la mention de la décision contestée.
Pour autant, cette particularité procédurale ne répondait pas à l'exigence posée à l'article R 412-1 du Code de Justice Administrative.
Les Cours Administratives d'Appel se sont divisées sur la question de la recevabilité d'une requête fondée sur la seule production du relevé d'information intégral.
On notera en faveur de l'automobiliste les décisions rendues par les Cours Administratives de Versailles, Paris ou encore Lyon.
La Cour Administrative d'Appel de Lyon énonçait clairement :
"à l'appui de sa demande... le requérant a produit le relevé d'information intégral portant notamment sur les décisions de retraits de points...
Que l'existence et le dispositif de ces décisions du ministre de l'intérieur étaient suffisamment établis par la production de ce relevé;
Qu'ainsi, le premier juge ne pouvait pas estimer que la demande n'était pas accompagnée de la décision attaquée;
Que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande au motif qu'elle ne satisfait pas aux exigences de l'article R 412-1 du Code de Justice Administrative et a demandé l'annulation de cette ordonnance"
(Cour Administrative d'Appel de Lyon, 18.12.2008, n° 07 LY000285)
À cela, la Cour Administrative d'Appel de Versailles emboitait le pas :
"le relevé d'information intégral relatif au permis de conduire de l'intéressé mentionne de manière suffisamment circonstanciée les différentes décisions de retraits de points dont il a fait l'objet de la part du ministre de l'intérieur;
Que, par suite, lorsque l'intéressé exerce son droit d'accès à ce traitement automatisé des pertes de ses points, il prend connaissance de ces décisions et peut dès lors, le cas échéant, en contester la légalité devant le juge administratif...
Que c'est par suite à tort que le premier juge lui a adressé une mise en demeure de produire copie de la décision contestée et qu'il a rejeté sa demande comme irrecevable"
(Cour Administrative d'appel de Versailles, 18 juin 2009, n° 08VE 000 86.)
La Cour Administrative d'Appel de Paris suivait ce chemin clairement balisé :
"le relevé d'information intégral relatif au permis de conduire de l'intéressé mentionne de manière suffisamment circonstanciée les différentes décisions de retraits de points dont il a fait l'objet de la part du ministre de l'intérieur ;
Que, par suite, lorsque l'intéressé exerce son droit d'accès à ce traitement automatisé des pertes de ses points, il prend connaissance de ces décisions et peut dès lors, le cas échéant, en contester la légalité devant le juge administratif."
(Cour Administrative d'appel de Paris, 27 janvier 2009, n° 08PA000 984.)
On notera la similitude des motifs ainsi retenus par ces trois juridictions.
La voie semblait donc tracée pour accorder au requérant une facilité d'ordre procédural en lui permettant de saisir le Tribunal Administratif d'un recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une décision de retrait de points ou d'invalidation de son permis de conduire sur la seule base du relevé d'information intégral.
Le Conseil d'État, attendu sur cette question, s'est prononcé dans le sillage de cette jurisprudence par trois arrêts du 24 juillet 2009 en rejetant des pourvois fondés sur la seule inopposabilité au requérant des informations mentionnées dans le relevé d'information intégral.
Le Conseil d'État acceptait donc d'accorder à ce document la même force probante et procédurale que la décision attaquée.
Il est vrai cependant que ces pourvois devant le Conseil d'État avaient été introduits par le requérant lui-même et que c'est le Ministre de l'Intérieur qui se prévalait cette fois-ci du relevé d'information intégral...
Cette facilité accordée au ministère de l'intérieur lui permettait de se fabriquer sa propre preuve, ce qui ne manque pas de surprendre dans un état de droit c'est-à-dire un état qui doit être limité par le droit.
Pour autant, les praticiens pouvaient se dire que si une quelconque force probante est ainsi reconnue au relevé d'information intégral lorsque c'est le ministre de l'intérieur qui s'en prévaut, ce même avantage doit être accordé au requérant simple automobiliste.
Dans un pays qui fait de l'égalité l'un de ses symboles républicains, on pouvait se dire que c'était là la moindre des choses !!!
Cela ne sera pas le cas.
Par trois arrêts du 27 janvier 2010, le Conseil d'État a opéré un revirement de jurisprudence regrettable pour les automobilistes mais parfaitement conforme au droit en soulignant l'irrecevabilité d'une requête qui ne s'appuie pas sur la production de la décision contestée :
"Considérant que le titulaire du permis qui demande l'annulation d'une décision portant retraits de points ou invalidation de son permis ne peut se borner à produire le relevé d'information intégral... mais doit produire la décision elle-même, tel qu'il en a reçu notification... ou, en cas d'impossibilité, apporter la preuve des diligences qu'il a accomplie pour en obtenir la communication.
Qu'en jugeant que la production du relevé d'information intégral par le requérant suffisait pour que sa demande de première instance soit présentée conformément aux dispositions de l'article R 412-1 du Code de Justice Administrative, la Cour Administrative d'Appel a commis une erreur de droit"
Cette jurisprudence est parfaitement claire : on ne peut plus saisir le tribunal administratif pour contester une décision de retrait de points ou une décision d'invalidation du permis de conduire en se contentant de produire le relevé intégral d'information.
Il faut produire la décision contestée et rien d'autre.
Cette nouvelle ligne jurisprudentielle vient donc saborder les espoirs des automobilistes auxquels l'on accorde plus les mêmes facilités que celles qui furent concédées au ministère de l'intérieur.
Que penser de cette décision ?
Rappelons ce qu'est l'office du juge administratif.
Le juge administratif est là pour juger de l'action de l'administration et sanctionner les erreurs que celle-ci commet en annulant les décisions entachées par ces erreurs.
Pour cela, le juge administratif doit confronter la décision attaquée à divers textes internationaux, constitutionnels, législatifs ou réglementaires afin de vérifier si cette décision leur est conforme.
Le juge administratif tout comme le juge judiciaire doit donc dire et appliquer le droit.
Tel est son office.
En précisant que la production du seul relevé d'information intégral ne respecte pas les dispositions de l'article R 412-1 du Code de Justice Administrative, le Conseil d'État n'a rien fait d'autre que d'appliquer le droit.
Cet article impose de produire la décision contestée et pas un autre document.
Si l'on peut certes regretter que la situation se complique quelque peu pour l'automobiliste, on ne pourra pas faire grief au Conseil d'État d'avoir rappelé et d'avoir appliqué notre droit positif.
Lorsque des juges prennent des libertés dans l'application du droit, nombreux sont ceux qui montent au créneau pour manifester, s'en plaindre et faire part d'une indignation plus ou moins feinte en dénonçant un système judiciaire qui a pourtant le mérite d'exister.
Alors, lorsque les juges appliquent le droit rigoureusement, aucun reproche ne doit leur être adressé.
Si le système présente des failles, c'est au législateur et au pouvoir réglementaire de les combler en modifiant les dispositions friables.
Pour autant, cette nouvelle jurisprudence ne concerne qu'un aspect d'ordre procédural.
L'automobiliste est donc invité à conserver les décisions qu'il reçoit, soit en original, soit en copies, soit sous forme numérique afin de pouvoir les porter à la connaissance du juge administratif s'il décide de les contester.
Cette exigence de méticulosité va peut-être à l'encontre d'un laxisme qui se généralise mais aura peut-être pour effet bénéfique de faire prendre à chacun conscience de ses responsabilités et de ses devoirs.
Reconnaissons que l'exigence n'est pas très lourde.
Cela d'autant plus que le conseil d'État rappelle également l'existence d'un "garde-fou" : si l'automobiliste est dans l'impossibilité de produire la décision qu'il entend contester, il doit solliciter une copie de celle-ci auprès des autorités administratives compétentes.
S'il le fait, il pourra se contenter de produire à l'appui de sa requête le relevé d'information intégral.
Tout le monde s'y retrouve finalement.
Comment faire à présent ?
L'automobiliste qui reçoit une décision administrative l'informant d'un retrait de points sur son permis de conduire ou de l'invalidation de son permis doit conserver cette décision et la produire à l'appui de la requête qu'il déposera par le biais de son avocat devant le tribunal administratif.
Si l'automobiliste est dans l'impossibilité de produire cette décision, par exemple parce qu'il ne l'a pas reçu, alors il devra écrire à l'autorité administrative compétente pour réclamer une copie de cette décision.
Dans le même temps, il pourra saisir le tribunal administratif pour contester cette décision en se contentant de produire le relevé d'information intégral d'une part, ainsi que le courrier par lequel il a réclamé la copie de la décision contestée d'autre part.
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