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Commentaire du jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Strasbourg en date du 20 mai 2015.
La légitime défense a bien du mal à se faire accepter dans notre société.
Il suffit pour s'en convaincre de voir le peu de décisions judiciaires qui acceptent d'en reconnaître l'existence.
Mais généralement, ce type de questions intéresse uniquement les juridictions pénales.
Il est on ne peut plus rare que le concept de légitime défense fasse irruption devant d'autres tribunaux.
C'est pourtant d'une telle question qu'a eue à connaître le conseil des prud'hommes de Strasbourg dans une affaire qui opposait un salarié à son employeur.
Les faits étaient les suivants :
Un salarié avait été injustement accusé de vol par l'un de ses collègues de travail.
Afin de prouver sa bonne foi, ce salarié avait permis à ce collègue de travail de fouiller son casier afin qu'il puisse constater que n'y figuraient pas les objets soi-disant volés.
Non content de porter contre lui des accusations mensongères et blessantes, ce collègue de travail s'en est pris à lui en tentant de le fouiller au corps avec l'aide d'un ami.
Pour cela, les deux individus n'ont pas hésité à lui enlever ses chaussures, son pantalon et même ses sous-vêtements.
Le salarié en question, soucieux d'éviter tout ennui, a dans un premier temps préféré les laisser faire, pensant que leur comportement n'irait pas plus loin.
Or, dès le lendemain, le collègue de travail en question a attendu le salarié à la sortie de l'entreprise afin de l'agresser physiquement.
N'ayant guère le choix, ce salarié s'est donc défendu en lui assénant deux coups de poing.
Ces coups portés au visage de l'assaillant ont permis au salarié de se dégager et de mettre un terme à cette agression.
Pour autant, le collègue de travail n'a pas été blessé si ce n'est un ou deux hématomes au visage sans réelle gravité.
La réaction de l'employeur ne s'est pas fait attendre : le salarié a été licencié pour faits de violence "de nature à désorganiser la bonne marche de l'entreprise"...
Aucune sanction n'a été prise à l'encontre de l'agresseur, ce qui témoigne d'un curieux état d'esprit de l'employeur dont on devine déjà la partialité.
Le salarié a immédiatement saisi le conseil des prud'hommes afin de contester son licenciement et de solliciter des dommages et intérêts.
Par un jugement plus que regrettable rendu le 20 mai 2015, le conseil des prud'hommes de Strasbourg a débouté le salarié de sa demande au motif que le salarié était expert en arts martiaux et qu'il aurait dû ainsi se maîtriser.
La motivation de ce jugement, on ne peut plus lapidaire, applique donc faussement les règles relatives à la légitime défense et oublie totalement les règles relatives au droit du travail.
L'occasion est donc donnée de se pencher sur cette affaire pour remettre les choses à leur place.
Sur les conditions d'application de la légitime défense rapportées au cas d'espèce
La légitime défense concerne celui ou elle qui se défend face à une agression.
Pour qu'il y ait légitime défense, les conditions cumulatives suivantes doivent être réunies :
- la personne qui se défend doit faire face à une attaque injustifiée à son encontre ou à l'encontre d'une tierce personne afin de mettre un terme à cette agression ;
- l'acte de défense doit être jugé nécessaire, ce qui signifie que l'agressé ne pouvait pas faire autrement que de se défendre;
- les moyens employés par l'agressé doivent être proportionnés à l'attaque.
On ne peut ainsi sortir une arme à feu pour répliquer à une gifle.
- Enfin, l'acte de défense doit être d'actualité, c'est-à-dire être opposé au moment même de l'agression et pas plus tard.
Dans le cas contraire, on tomberait non plus dans un acte de défense, mais dans un acte de vengeance.
Si ces conditions peuvent intellectuellement se comprendre, leur réunion est parfois difficile à prouver et bon nombre de personnes amenées à se défendre n'arrivent pas à rapporter
l'exigence de proportionnalité requise par la loi.
Il y a là, à mon sens, un véritable parti pris de la loi en faveur des agresseurs et en défaveur des victimes.
Comment peut-on s'attacher encore avec autant de conviction à cette exigence de proportionnalité lorsque l'on sait la réaction psychologique instinctive qu'une agression entraîne chez sa victime.
Peut-on sérieusement penser que la victime d'une agression va raisonner en termes de proportionnalité pour se défendre ?
Lorsqu'une personne est victime d'une agression, elle ne pense qu'à une chose : mettre un terme à l'agression.
Une agression entraîne toujours un choc psychologique dès que celle-ci commence : la victime est d'abord surprise et une fraction de seconde plus tard elle est apeurée.
On ne peut donc pas exiger d'une personne apeurée qu'elle sorte sa règle et son compas pour calculer si oui ou non son geste de défense sera proportionné à l'attaque.
Une victime d'agressions ne raisonne pas comme cela.
Une victime d'agression tente simplement de s'en sortir.
Une victime d'agression n'a rien demandé : elle est victime !!!
Il est donc dommage que notre loi actuelle fasse peser une partie essentielle du risque juridique sur la personne agressée.
La victime d'une agression devrait bénéficier d'une présomption, en toutes circonstances, de proportionnalité.
Après tout, cela devrait être à l'agresseur de prendre tous les risques, que ces risques soient juridiques devant un tribunal ou qu'ils soient factuels pour le cas où il tomberait sur une
victime capable de se défendre alors qu'il ne s'y attendait pas.
Il faut bien le reconnaître : nous vivons dans une société de plus en plus violente où les agressions sont de plus en plus nombreuses et cette exigence de proportionnalité est particulièrement mal placée.
Elle assure en tout cas de beaux jours aux agresseurs !
En tout état de cause, et en l'espèce, en frappant son agresseur au visage mais sans le blesser sérieusement, les conditions de la légitime défense étaient réunies puisque ce salarié avait fait face à une agression, précédée d'accusations mensongères et d'une fouille particulièrement humiliante.
D'ailleurs, l'agresseur en question n'a pas eu le toupet de porter plainte.
De la même façon, celui-ci n'a pas été suffisamment blessé pour aller faire constater ses blessures par un médecin afin de se voir prescrire une interruption de travail.
Ce salarié a donc eu raison de se défendre ainsi !
Cela n'empêchera pas le conseil des prud'hommes de lui en faire le grief en le déboutant de toutes ses demandes au motif qu'il était expert en arts martiaux.
On constate ici que les conseillers prud'homaux n'avaient que très peu de connaissances sur les arts martiaux.
Le salarié en question était ceinture noire deuxième dan en karaté et ceinture noire deuxième dan en aïkido.
À ce niveau de compétence, un pratiquant d'arts martiaux peut faire ce qu'il veut avec son agresseur : il peut le repousser, le blesser sans gravité, le blesser très sérieusement et
même le tuer.
Le pratiquant d'arts martiaux sait exactement comment calibrer sa riposte pour obtenir le résultat voulu et, avant toute chose, pour mettre un terme à l'agression dont il fait l'objet.
En l'espèce, l'agresseur a simplement eu deux hématomes au visage et rien de plus.
Cela nous permet donc de dire que ce salarié et pratiquant d'arts martiaux, a très justement calibré sa riposte pour mettre un terme à l'agression dont il était victime en évitant de blesser plus qu'il ne fallait son agresseur.
Il fallait en effet une réelle maîtrise de sa part, surtout après avoir été injustement accusé de vol et d'avoir fait l'objet d'une fouille au corps de la part de cet individu.
Ce salarié aurait mérité des félicitations plutôt qu'un licenciement.
Qui, en effet, accepterait d'être accusé de vol, d'être fouillé jusque dans ses endroits les plus intimes et d'être enfin agressé physiquement à la sortie de l'entreprise sans réagir avec
virulence.
Beaucoup auraient porté des coups bien plus violents que ce salarié.
Maîtrisant parfaitement son art, ce dernier a proportionné sa riposte de manière à mettre un terme à cette agression sans envoyer son agresseur à l'hôpital.
Mais l'employeur, suivi en cela par le conseil des prud'hommes, avait visiblement un parti pris et/ou une méconnaissance totale du sujet.
L'employeur a sauté sur l'occasion pour licencier ce salarié.
Le conseil des prud'hommes est simplement parti du principe que ce pratiquant d'arts martiaux aurait dû se maîtriser.
Or cela fut précisément le cas : il suffisait de lire le dossier et de se renseigner un tout petit peu sur ce que les arts martiaux vous permettent de faire pour s'en rendre compte.
Il aurait été intéressant de savoir ce qu'en aurait dit une juridiction pénale, mais cela ne sera pas le cas puisque l'agresseur n'a pas souhaité déposer plainte suite à l'acte de riposte dont il
a fait l'objet, ce qui en dit long à bien des égards.
Il était en effet plus facile d'aller rapporter ces faits à son employeur, avec lequel on s'entend peut-être très bien, plutôt que d'aller les exposer devant un tribunal correctionnel où les
questions auraient été beaucoup plus précises...
Quoi qu'il en soit, et sous le couvert d'une application plutôt légère des règles relatives à la légitime défense, le conseil des prud'hommes en a ignoré les règles relatives au droit du travail.
Le droit du travail français offre toute une palette de sanctions à l'égard d'un salarié qui commettrait une faute professionnelle.
Il appartient à l'employeur d'apprécier les circonstances exactes qui amènent ce salarié devant lui afin de voir s'il peut lui reprocher quelque chose.
Ces circonstances exactes regroupent bien évidemment les faits en eux-mêmes, mais pas seulement !
L'employeur devra tenir compte de l'ancienneté de son salarié, de son cursus au sein de l'entreprise, de son dossier disciplinaire et surtout de ses explications.
En l'espèce, le salarié avait sept ans d'ancienneté au sein de l'entreprise et ne s'y était jamais fait remarquer, de telle sorte que son dossier disciplinaire était vide et ne mentionnait aucune sanction.
Ce salarié a expliqué à son employeur les faits en eux-mêmes et ce dernier ne s'est pas ému du comportement de son collègue de travail.
Peut-être aurait-il pu le convoquer pour lui demander pourquoi il s'était permis de porter des accusations mensongères à l'encontre de ce salarié, pourquoi il s'était permis de le fouiller au corps et pourquoi il s'était permis de l'attendre à la sortie de l'entreprise pour avoir une explication plus virile !
Repoussant loin de lui tout esprit d'analyse, cet employeur a préféré licencier son salarié sans autre forme de réflexion.
S'il avait pourtant réfléchi au cas d'espèce, cet employeur aurait pu se dire qu'il s'agissait là d'un incident regrettable, mais dont son salarié n'était à l'origine.
Il aurait alors pu infliger aux deux intéressés, c'est-à-dire au salarié et au collègue de travail en question, un simple avertissement afin de marquer le coup et de s'arrêter là.
En ce qui me concerne, mais cela n'engage que moi, je n'aurais adressé d'avertissement qu'au seul collègue de travail qui était à l'origine de cet incident par un comportement inacceptable.
L'agresseur est resté au sein de l'entreprise.
L'agressé a dû affronter une deuxième injustice : son licenciement.
Le conseil des prud'hommes n'est pas allé plus loin que l'employeur dans la réflexion puisqu'il s'est contenté de souligner les compétences du salarié en arts martiaux pour en conclure que celui-ci n'avait pas le droit de se défendre...
Ce faisant, le conseil des prud'hommes a rajouté une condition non prévue par le code pénal qui ne prévoit pas un traitement plus sévère à l'égard des sportifs qu'à l'égard de ceux qui ne le sont pas.
Ce faisant, le conseil des prud'hommes a également méconnu le code du travail qui lui impose de faire une appréciation globale de la situation, sans parti pris, et qui dispose surtout qu'en cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié.
En l'espèce, il y avait bien plus de certitude que de doutes.
Pour autant, à supposer qu'il y ait pu y avoir quelques hésitations sur le comportement que ce salarié aurait dû avoir, les circonstances propres au cas d'espèce auraient dû peser en sa
faveur.
En aucun cas ce salarié n'aurait dû être accusé de vol.
Jamais ce salarié n'aurait dû être fouillé au corps par un individu qui n'avait absolument pas compétence ni pouvoir pour cela.
Jamais et en aucun cas ce salarié n'aurait dû être licencié.
La pratique des arts martiaux peut donc parfois se retourner contre le pratiquant lui-même.
On ne lui pardonnera rien !
Le fait de savoir se défendre vous interdit de vous défendre.
Il s'agit là d'une curieuse logique.
Les arts martiaux viennent donc d'être percutés d'une manière peu orthodoxe en ignorant à la fois le droit pénal et le droit du travail.
Mais il ne s'agit là que d'un premier round.
L'affaire est actuellement soumise à la censure de la cour d'appel qui saura sûrement faire preuve d'une autre forme de raisonnement.
Le droit de se défendre et le fait de se défendre ne doivent jamais se retourner contre celui qui a le courage de se défendre.
Face aux agressions quotidiennes, il faut donner l'avantage à ceux qui s'opposent à un phénomène de plus en plus inacceptable.
Ne serait-il pas logique que ce soit l'agresseur qui prenne tous les risques, y compris juridique, de son comportement inqualifiable ?
Nous le pensons, mais il serait temps que tous les esprits évoluent.
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