Très récemment, le 25 novembre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation rendait un arrêt édifiant en la matière.
Les faits étaient les suivants : Un chef de cabine première classe
sur vol long-courrier de la compagnie Air France était en escale à New
York le 11 septembre 2001. De sa chambre d'hôtel à Manhattan, il était
malheureusement témoin de l'attentat contre le World Trade center.
Il revenait par un vol peu de temps après , avec le reste de
l'équipage, en apparente bonne condition, signalant le cas d'une hôtesse
en détresse psychologique aux personnels soignants venus les accueillirà l'aéroport, puis rentrant chez lui sans demander l'aide des
psychologues. Bien que les visites médicales passées chaque année
permettent de le déclarer apte, différents signes tendaient à montrer
une fragilisation psychique : un épisode dépressif traversé en 2002, un
échec à des tests professionnels pour une promotion, et finalement une
crise de panique avant de monter dans un avion en 2006 et enfin,
l'impossibilité de remonter dans un avion.
Il était ainsi déclaré inapte à toute fonction de naviguant.
Il a finalement été licencié en 2011 pour refus de venir se présenter
à une visite médicale prévue pour qu'il soit statué sur son aptitude à
exercer un poste au sol
Contestant son licenciement devant la juridiction prud'homale, le
salarié réclamait en outre des dommages et intérêts pour le manquement à
l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'entreprise au titrede la prise en charge de la santé mentale des travailleurs.
Le chef de cabine imputait en effet sa panique à un stress
post-traumatique qui s'est développé suite aux attentats du 11 septembre
2001.
Les juges du fond le déboutaient de sa demande, estimant les mesures prises par l'employeur suffisantes (accueil au retour de l'aéroport, organisation d'un suivi psychiatrique pour les personnes intéressées, avis d'aptitude à la suite
Plus précisément, la Cour a estimé que l'entreprise avait bien pris
des mesures à la suite de ces événements, par la mise en place d'un
suivi psychologique et une évaluation de l'aptitude individuelle de
chaque salarié. Mais, au nom de la liberté reconnue aux salariés, il
était exclu de leur imposer un suivi.
la haute juridiction a relevé d'une part que l'employeur avait, au
retour de New-York le 11 septembre 2001, fait accueillir le salarié,
comme tout l'équipage, par l'ensemble du personnel médical mobilisé pour
assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les
intéressés vers des consultations psychiatriques. D'autre part, le
salarié, déclaré apte lors de quatre visites médicales intervenues entre
2002 et 2005, avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu'au mois
d'avril 2006.
Enfin, les éléments médicaux produits, datés de 2008, étaient
dépourvus de lien avec les événements dont il avait été témoin. Pour la
Cour de cassation, la cour d'appel a pu déduire de ces constatations
l'absence de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de
résultat.
Dès lors, le salarié ne pouvait pas reprocher à l'employeur d'avoir manqué à son obligation de sécurité résultat, d'autant plus qu'à la suite des évènements, il a exercé ses fonctions sans difficultés pendant plusieurs années.
Pour autant, dans cet arrêt, la Cour ne se contente pas uniquement de
rejeter le pourvoi, mais elle formule un attendu de principe assez
insolite. L'employeur qui " justifie avoir pris toutes les mesures
de sécurité prévues par les articles L. 4121-1 et 4121-2 du Code du
travail " ne méconnaît pas l'obligation légale de prendre les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et
mentale des salariés ".
En d'autres termes, il suffirait à l'employeur d'avoir mis en ?uvre des mesures préventives afin de s'affranchir de toute responsabilité au titre du manquement à l'obligation de sécurité de résultat.
Cette formule peut être vue comme une atténuation de sa jurisprudence
antérieure, qui considérait que l'absence de faute de l'entreprise ne
pouvait être un moyen d'exonération suffisant.
La Cour de cassation tendait par exemple à retenir que le non-respect
par des salariés de l'interdiction de fumer dans les locaux de travail
caractérisait un manquement à l'obligation de sécurité de résultat à
l'égard des autres salariés, justifiant ainsi une prise d'acte de
rupture (Soc. 29 juin 2005, Dr. soc. 2005. 971, note P.-Y. Verkindt ; D. 2005.
2565, note A. Bugada). Plus significatif encore, le cas des violences
ou harcèlements exercés par un salarié à l'égard d'un autre : le
manquement à l'obligation de sécurité se trouve caractérisé alors même
que l'employeur aurait pris les mesures en vue de faire cesser les
agissements et qu'il n'aurait commis aucune faute (voir notamment Soc.
19 octobre 2011, RDT2012. 44, note M. Véricel : " Attendu
que l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de
sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la
sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et
que l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa
responsabilité ; qu'il doit répondre des agissements des personnes qui
exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés ").
L'employeur pourrait désormais s'exonérer en justifiant du respect
des règles de prévention, ce qui devrait lui imposer de montrer qu'il a
pris les mesures appropriées au regard des risques encourus.
Au final, il est tentant d'affirmer que c'est davantage une
obligation de moyen qui se manifeste dans cet arrêt " Air France ". Il
est en effet relevé, pour écarter la responsabilité de l'employeur, que
celui-ci a pris les mesures utiles suite aux attentats du 11 septembre
2001 pour éviter tout risque sur la santé mentale des salariés
concernés.
Comment parler d'une obligation de résultat en matière de sécurité,
alors qu'on s'intéresse au comportement d'une partie au contrat et qu'on
cherche manifestement à savoir s'il y a eu, ou non, faute de sa part ?
Conclusion
Certains commentateurs évoquent un tournant majeur dans l'approche de
l'obligation de sécurité et se posent la question de savoir si on peut
continuer à parler d'obligation de résultat ou faut-il désormais la
rebaptiser en " obligation de moyens renforcée " (F. Champeaux, Semaine
sociale Lamy, n°1700, 30 novembre 2015)? Ou s'agit-il tout simplement
d'une " obligation d'action " (P-Y Verkindt, Jurisprudence sociale Lamy,
n° 239, 1er septembre 2008).
Et de façon plus pratique, la question se pose de savoir s'il est
opportun de donner aujourd'hui, dans le contexte post attentats actuel,
un signe d'affaiblissement des obligations liées à la prévention.
Cette question trouve notamment sa pertinence au regard du coût
considérable pour la société d'un traitement insuffisant de ces
traumatismes psychiques, comme le montre le cas de ce salarié désormais
incapable de travailler faute d'avoir été pris en charge de façon
satisfaisante à la suite d'un fort traumatisme.
Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444