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Limites de la Règle de Spécialité du Mandat d'Arrêt Européen : Quelle sanction en cas de détournement de procédure européenne ?
Le droit européen contrôle les mandats d'arrêt européens, en limitant leurs effets privatifs de liberté aux seules infractions commises antérieurement à la remise du prévenu aux autorités. Comment comprendre cette limitation de la prévention aux infractions antérieures à la remise du prévenu aux autorités de l'Etat membre de l'UE du contentieux ? Et quelles sont les conséquences de la violation de ces règles par les juridictions nationales?
(Art. 27 de la Décision Cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures entre Etats membres.) (2002/584/JAI) )
A l'occasion d'un contentieux ouvert en France, il m'a été donné de m'interroger sur l'étendue d'un mandat d'arrêt européen, et sur le fonctionnement de la règle de spécialité des mandats d'arrêt. Règle selon laquelle le pays émetteur du mandat d'arrêt international ne peut pas poursuivre ou juger le justiciable pour d'autres faits que ceux initialement visés au mandat d'arrêt. (Art. 699-6 Code de Procédure Pénal).
Les faits étant classiques : un justiciable est poursuivi en France pour des faits qualifiés initialement d'escroquerie et faux et usage de faux. La justice française ayant du mal à le retrouver en France apprends incidemment qu'il est résident belge. Le juge d'instruction français émet immédiatement un Mandat d'Arrêt Européen à destination de la Belgique, visant les incriminations d'escroquerie
et de faux.
C'est dans ces conditions que le justiciable, après avoir épuisé les voies de recours belges, se voit remettre par les autorités belges à l'Etat français. Sous la limitation expresse posée par l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège, que ce justiciable ne pourra ni être poursuivi ni être jugé ni être détenu pour des incriminations autres que celles visées par le mandat d'arrêt européen.
Présenté devant le juge d'instruction français, le justiciable est mis en examen du chef d'abus de confiance et de faux, et est astreint à un contrôle judiciaire lui interdisant de quitter le territoire français. Ainsi l'incrimination initiale d'escroquerie disparaît au profit d'une autre (abus de confiance).
Renvoyé devant le Tribunal Correctionnel, du chef d'abus de confiance, détournement de fonds et faux, il conteste à la juridiction de jugement le droit de statuer au fond sur la prévention d'abus de confiance, motif pris du principe de spécialité du mandat d'arrêt européen.
Après un débat houleux, le Tribunal correctionnel joint l'incident au fond, et refuse de poser la question préjudicielle à la CJCE.
Le débat n'est donc pas vidé, et plusieurs questions demeurent : Les services judiciaires du pays émetteur d'un mandat d'arrêt européen peuvent-ils poursuivre un justiciable sur d'autres faits ou d'autres incriminations que ceux visés dans le mandat européen ? Est-il possible de sortir de la spécialisation du mandat européen ? Que faire en cas de détournement de procédure ? Comment gérer les violations du droit communautaire avec le droit processuel français ?
Le Mandat d'Arrêt Européen a été institué entre les Etats membres de l'Union Européenne dans un cadre politique d'intégration et de confiance réciproque dans les actes des différentes juridictions. A ce titre, chaque Etat membre s'engage à reconnaître les décisions judiciaires rendues par une autorité judiciaire d'un autre Etat membre, et à ne pas en discuter le bien-fondé ou la valeur.
Notamment, en ce qui concerne le mandat d'arrêt Européen, les Etats membres ont accepté de ne pas vérifier la validité de l'infraction poursuivie au titre du mandat d'arrêt. De sorte que l'Etat membre d'exécution du mandat d'arrêt (le pays extradant) n'a plus la faculté de contrôler la validité du mandat autrement que sur le plan de sa validité formelle.
De fait, l'Etat membre d'exécution est tenu de remettre le justiciable visé par le mandat d'arrêt, sans contrôle juridictionnel de l'incrimination.
La raison en est que le mandat d'arrêt européen concerne certaines incriminations seulement, et qu'il est limité dans sa porté et dans ses effets.
A - les incriminations visées au mandat d'arrêt européen : - article 2 de la Décision-Cadre du Conseil du 13 juin 200 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres.
Les faits visés par le mandat d'arrêt européen doivent revêtir une certaine gravité dans le pays émetteur : ils doivent concerner des faits relevant d'une infraction dont le maximum encouru est au minimum de 12 mois, ou une condamnation à une peine ou mesure de sûreté d'une durée d'au moins quatre mois. Il s'agit toutefois, au regard du droit français, d'une simplification de la procédure nationale (art.696-3 & suivants CPP) et d'un abaissement du seuil d'infraction.[1]
D'autre part, une liste d'infraction spécifique a été établie pour laquelle l'Etat d'exécution du mandat d'arrêt européen s'interdit de procéder au contrôle de la double incrimination du fait poursuivi, dès lors que le maximum de la peine encourue ou la mesure de sûreté privative de liberté encourue dépasse trois ans dans l'Etat d'émission du mandat d'arrêt:
Il s'agit des 32 infractions limitativement définies[2].
Cette liste étant susceptible d'évoluer selon une procédure de coopération avec le Parlement de l'UE.
Pour les infractions non-listées, l'Etat d'exécution du mandat d'arrêt peut subordonner la remise à la condition que les faits pour lesquels le mandat d'arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard de son droit national, quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci.
Ainsi, selon l'incrimination des faits retenue par l'autorité judiciaire de l'Etat émetteur du mandat d'arrêt européen, ce mandat sera exécuté automatiquement, ou sera soumis au contrôle de l'Etat d'exécution.
Un premier biais peut donc apparaître, lié à la qualification des faits, lorsque les faits poursuivis peuvent revêtir plusieurs qualifications voisines mais distinctes (telles l'escroquerie et les infractions voisines d'abus de bien sociaux, d'abus de confiance, de détournement de fonds, ou le viol, et les infractions voisines d'agression sexuelle ...).
B - Limitation politique et judiciaire des effets du mandat d'arrêt européen : le principe de spécialité - articles 27 et 28 de la Décision Cadre
Pour pallier à l'automaticité du mandat d'arrêt européen, le Conseil de l'Union Européenne a décidé (décision politique prise par les chefs d'Etat et de Gouvernement et les Ministres concernés), de limiter les effets de la remise du justiciable à l'Etat émetteur aux seules infractions visées au mandat d'arrêt en exécution duquel il est procédé à la remise ;
C'est le sens de l'article 27.2 de la Décision-Cadre, qui dispose :
Article 27 Poursuite éventuelle pour d'autres infractions
...
2. Sauf dans les cas visés aux paragraphes 1 et 3, une personne qui a été remise ne peut être poursuivie, condamnée ou privée de liberté pour une infraction commise avant sa remise autre que celle qui a motivé sa remise.
Ainsi, en contrepartie de l'automaticité de la remise du justiciable à l'Etat émetteur du mandat d'arrêt, le droit communautaire a-t'il instauré une protection du justiciable : L'Etat émetteur doit figer l'incrimination pour laquelle le mandat d'arrêt est réclamé. Il ne sera pas possible de poursuivre un justiciable pour d'autres faits que ceux initialement poursuivis, dans ce cadre juridique. De sorte que pour poursuivre le justiciable pour d'autres faits, il faudra à l'Etat poursuivant trouver une autre base processuelle.
Ce principe se retrouve également en droit interne français, hors procédure européenne (art. 696-6 CPP).
Cette limite est-elle aussi claire que la lecture de cet article peut donner à penser ? Évidemment non. Il existe des exceptions au principe de spécialité.
Exceptions au principe de spécialité : Le " Cercle des États déspécialisés "
L'article 27 de la Décision-Cadre prévoit le cas des poursuites multiples, pour d'autres infractions que celles visées au mandat d'arrêt européen.
Il a été prévu que chaque Etat membre puisse notifier au secrétariat général du Conseil qu'il considère, en tant qu'Etat d'exécution du mandat d'arrêt, avoir donné son consentement à ce que le justiciable soit
poursuivi, condamnée ou détenue ... pour une infraction commise avant sa remise, autre que celle qui a motivé sa remise.
Cette autorisation ne valant qu'au profit des Etats membres qui ont eux-mêmes notifié au Conseil cette même intention (principe de réciprocité dans les relations internationales[1], sans lequel il n'aurait pas été possible, en droit pénal international, de procéder à l'extradition.). C'est parce qu'il a formalisé son acceptation de voir ses résidents extradés et poursuivis pour des faits antérieurs à la remise par lui, pour d'autres faits que ceux visés dans le mandat d'arrêt, qu'un Etat membre pourra poursuivre un justiciable pour d'autres faits que ceux qu'il a pu viser lui-même dans les mandats d'arrêt qu'il aurait pu émettre. Cette notification a donc une portée essentiellement politique. Elle permet aux Etats membres de créer une deuxième zone d'extradition du mandat d'arrêt européen, celle des Etats ayant notifié leur consentement.
En définitive, cette exception est double. D'une part elle constitue une exception au principe de spécialité du mandat d'arrêt. (Principe de droit interne). D'autre part elle constitue une exception aux règles de fonctionnement institutionnel de l'Union Européenne.[2]
Lorsque l'on considère l'exception prévue par la décision-cadre, on peut s'étonner de voir que cette exception déroge en réalité à une première exception.
(principe de réciprocité dans les relations internationales[1],
exception aux règles de fonctionnement institutionnel de l'Union Européenne.[2]
[1] Principe de réciprocité dans les relations internationales. Article 55 de la Constitution, " Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ".
Ce principe de réciprocité ne s'applique que dans les relations politiques entre Etats, mais non dans la légalité interne, de sorte qu'un texte normatif pris en exécution d'un accord international que l'autre Etat n'exécuterait pas n'empêche pas l'autorité judiciaire d'appliquer les textes pris pour son exécution. Voir la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1980, où la condition de réciprocité posée à l'article 55 " n'est pas une condition de la conformité des lois à la Constitution"
Certains pays soumettent l'extradition au principe de réciprocité : Code de procédure pénale Argentin, Constitution
espagnole, Constitution française ... D'autres considèrent que l'extradition est une fonction essentiellement politique de coopération entre Etats et ne réservent pas la réciprocité.
Le principe de réciprocité ne s'applique pas à la Convention européenne des droits de l'homme, précisément afin de protéger les justiciables. Cette dérogation se justifie par le " caractère objectif " des droits de l'homme, reconnu notamment par la Commission européenne des droits de l'homme dans une décision du 11 janvier 1961. Ces droits reconnus aux individus se rattachent à leur seule qualité d'être humain : le comportement des autres États parties à l'égard de la Convention
est donc " totalement indifférent ". Il s'agit là d'un principe protecteur.
[2] Le principe de réciprocité n'est jamais applicable en droit communautaire, depuis l'arrêt " Jacques Vabre " :
" dans l'ordre juridique communautaire, les manquements d'un État membre de la Communauté Economique Européenne aux obligations qui lui incombent en vertu du Traité du 25 mars 1957 étant soumis au recours prévu par l'article 170 [ancienne numérotation - nda] dudit traité, l'exception tirée du défaut de réciprocité ne peut être invoquée devant les juridictions nationales " Ch. mixte, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre
Ce principe ainsi posé (avec son exception et la limite à l'exception) il faut en définir le champ d'application. Si la Décision-Cadre vise certaines infractions, spécifiquement ou généralement, susceptibles d'autoriser le recours au mandat d'arrêt international, elle prévoit aussi certains cas d'exclusion du principe, qu'il est possible d'organiser autour de trois idées principales : l'acceptation tacite ou implicite du justiciable, l'absence de sanction privative de liberté et enfin et la décision spéciale de l'autorité judiciaire d'exécution.
Exclusion du principe de spécialité en cas d'acceptation de la décision d'extradition par le justiciable. (§3 a) ; e) et f) )
La Décision-Cadre prévoit que le justiciable ne peut plus invoquer le principe de spécialité du mandat d'arrêt à partir du moment où il a expressément renoncé, avant sa remise (§ e)) ou après sa remise (§ f)), à bénéficier de la règle de la spécialité. La renonciation devant être formalisée devant les juridictions de l'État émetteur du mandat d'arrêt dans des conditions permettant de s'assurer que le justiciable a conscience des conséquences de cette renonciation.
La révocation de ces renonciations par le justiciable devant avoir lieu avant l'exécution de sa remise par l'État d'exécution du mandat d'arrêt.
Enfin, le justiciable ne peut plus invoquer le principe de spécialité si, après qu'il a été effectivement remis à l'État émetteur du mandat d'arrêt européen, il n'a pas quitté le territoire de cet État après avoir été élargi définitivement ou s'il y est retourné après l'avoir quitté. §a).
Exclusion du principe de spécialité en cas d'absence de peines ou mesures privatives de
liberté (§3 b) c) d)
Cela peut paraître une évidence. Cependant il est logique d'écarter le principe de spécialité lorsqu'aucune peine privative de liberté n'est encourue ni aucune mesure de sûreté n'est prise. En l'absence de peine privative de liberté, le justiciable qui a été arrêté et remis à l'État émetteur du mandat est libre de circuler et de quitter librement cet État.
S'il est poursuivi ultérieurement par le même État pour d'autres infractions, alors qu'il est libre d'aller et venir, c'est par hypothèse que les poursuites interviennent en dehors du cadre du mandat d'arrêt... lequel ne sert qu'à une chose, s'assurer de la présentation d'un justiciable devant un juge donné ;
Exclusion du principe de spécialité par décision spécialise de l'autorité judiciaire d'exécution préalable à la remise
Le §g) prévoit le cas particulier où le juge de l'Etat d'exécution recevrait, postérieurement à la remise du justiciable, une demande de l'Etat de remise, visant à se faire autoriser à poursuivre pour d'autres faits.
Dans ce cas, le juge peut exclure le principe de spécialité postérieurement à la remise.
La procédure de consentement postérieur à remise repose sur la nature de l'infraction reprochée. Le juge a compétence liée, et n'a pas de capacité d'appréciation. Sa décision est orientée soit dans le sens
du consentement, soit dans le sens du non-consentement, suivant que l'infraction fait partie de celles pour lesquelles la remise est obligatoire, ou non.
Le texte du §4 ne donne aucune liberté au juge :
le consentement est donné de droit lorsque l'infraction poursuivie est de celles qui rendent la remise obligatoire. Il est refusé de droit lorsque les faits ont donné lieu à amnistie dans l'État d'exécution ou lorsque les faits ont donné lieu à condamnation définitive exécutée ou en cours d'exécution dans l'un quelconque des États membres, ou encore lorsque la responsabilité pénale du justiciable ne peut être recherchée à raison de son âge dans le pays d'exécution.
En revanche, le juge conserve une faculté de décision pour les cas intermédiaires de l'article 4 de la décision-cadre. Et lorsque les droits du justiciables peuvent être gravement mis en cause (jugement
rendu par défaut, peine encourue susceptible d'être perpétuelle, ou justiciable résident habituel de l'État membre d'Exécution du mandat européen) le juge de l'État d'exécution doit vérifier que les garanties de droits prévues à l'article 5 sont fournies (possibilité de révision du jugement, ou de mesures de clémence, possibilité de purger sa peine dans son pays de résidence initial.)
Pour le cas où l'on est confronté à la défense d'une infraction ayant donné lieu à mandat d'arrêt européen, il est indispensable de contrôler devant le juge d'instruction et devant la juridiction de jugement la qualification donnée à l'incrimination poursuivie réellement, et à limiter les débats aux seules infractions visées dans le mandat d'arrêt européen.
Toute décision qui serait rendue en violation de ce principe de spécialité serait annulée en appel ou cassée devant la Cour de Cassation.
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