La prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit être justifiée par des manquements graves de l'employeur à ses obligations
Dans un arrêt rendu le 24.01.2018, N°16-19.603, non spécialement motivé en application de l'article 1014 du CPC, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé par une officine de pharmacie contre l'arrêt rendu le 28.04.2016 par la Cour d'Appel de Colmar (RG n°14/03673), infirmant un jugement rendu le 20.06.2014 par le Conseil de Prud'hommes de Schiltigheim.
Au nom et pour le compte d'une cliente pharmacienne, reprochant de nombreux manquements à son employeur, officine de pharmacie, j'ai notifié en juillet 2012 une prise d'acte de la rupture du contrat de travail et saisi le Conseil de Prud'hommes de Schiltigheim en requalification de ladite prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. J'ai formé un appel à l'encontre du jugement rendu le 20.06.2014 déboutant ma cliente de l'ensemble de ses demandes, requalifié la prise d'acte en démission brutale et condamnée à verser une somme au titre du non-respect du préavis conventionnel.
La requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse - les manquements de l'employeur sont établis
Par un arrêt particulièrement motivé en date du 28.04.2016 (RG n°14/03673), la Cour d'Appel de Colmar a intégralement infirmé le jugement entrepris, requalifié la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à verser d'importantes sommes (la salariée ayant plus de 21 ans d'ancienneté).
De nombreuses fautes étaient reprochées à l'employeur dans la prise d'acte et la motivation de l'arrêt de la CA de Colmar mérite d'être saluée.
- En premier lieu la Cour a, logiquement, retenu que constituaient des manquements graves justifiant une prise d'acte de la rupture du contrat de travail les modifications unilatérales, intempestives et réitérées du contrat de travail (à temps partiel), les problèmes de paiement de salaire à temps et la délivrance des bulletins de salaires uniquement sur réclamations de la salariée.
- En second lieu, la Cour a retenu que constituaient des faits de harcèlement moral, justifiant une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, le fait que la salariée était régulièrement exclue des formations notamment relatives à la maîtrise des fonctions du logiciel de l'officine, le fait de lui confier des tâches ne rentrant pas dans ses qualifications de pharmacienne, le fait de faire subir à la salariée un entretien dans un bureau dont la porte est laissée ouverte pour permettre à ses collègues de tout entendre ainsi que le fait de confier à des collègues le soin de la surveiller et d'écouter les conseils d'automédication et autres avis qu'elle délivre aux patients.
- En troisième lieu la Cour a validé, de manière très satisfaisante, que les éventuels dysfonctionnements rencontrés par la médecine du travail ne peuvent être valablement invoqués par l'employeur pour justifier l'absence des visites médicales bisannuelles entre 2007 et début 2012. Cette carence est d'autant plus grave, justifiant une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, que la salariée est pharmacienne, travaillant dans une officine de pharmacie dans un contexte de réception de personnes potentiellement malades. La constatation ultérieure de l'aptitude de la salariée ne peut compenser ce manquement grave et avéré de l'employeur à ses obligations.
Les gamelles sales, avec de la nourriture moisie et des morceaux d'os brisés dans une officine de pharmacie constituent des manquements aux règles d'hygiène
- En dernier lieu la Cour a retenu, de manière non équivoque, les photographies et autres éléments que nous avons produits sur les conditions d'hygiène dans l'officine. L'arrêt retient : " Il n'est pas contesté que le chien de la dirigeante de l'entreprise était présent dans les locaux de l'officine. ..... Elle verse ainsi aux débats des clichés dont il n'est pas contesté qu'ils ont été pris dans les locaux de la pharmacie et qui laissent apparaître des gamelles sales, l'une d'elles montrant de la nourriture moisie, des morceaux d'os brisés sur le revêtement de sol et même sur le canapé de garde.... Il est dès lors avéré que la présence du chien, qui n'était pas maitrisée sanitairement, portait atteinte à l'hygiène qui est attendue d'un établissement paramédical tel qu'une officine de pharmacie qui accueille du public, souvent fragilisé par la maladie et où le personnel est amené à effectuer des préparations dans des conditions sanitaires qui doivent être garanties... ".
La Cour d'Appel de Colmar, après avoir retenu et qualifié comme grave chacun des manquements que j'ai soulevés pour la salariée dans la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat, a logiquement infirmé le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes et dit et jugé que cette prise d'acte avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur a ainsi été condamné à verser d'importantes sommes, dont 50.000? à titre de dommages et intérêts (eh oui, cela a existé avant les Ordonnances de septembre 2017.....).
Par arrêt rendu hier 24.01.2018, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a refusé d'accueillir le pourvoi formé par l'employeur contre cet arrêt, sans s'en expliquer, en application de l'article 1014 du Code de procédure civile, mais vraisemblablement pour les motifs suivants :
Le harcèlement moral, lorsqu'il est établi, justifie la prise d'acte de la rupture du contrat de travail
Concernant les faits de harcèlement moral, le pourvoi ne pouvait être accueilli puisqu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de Cassation que, sous réserve du respect du mécanisme probatoire de l'article L. 1154-1 du code du travail, l'appréciation des juges de ce que les faits établis par le salarié laissent présumer un harcèlement moral et de ce que l'employeur justifie d'éléments étrangers à tout harcèlement relève uniquement du pouvoir souverain des juges du fond (08.06.2016, n°14-13.418).
Concernant les modifications unilatérales et réitérées du contrat de travail, justifiant une prise d'acte de la rupture par la salariée, la jurisprudence de la Cour de Cassation est suffisamment établie (Cass. soc. 07.12.2016, n°15-16.603 ; Cass. soc. 06.10.2016, n°15-18.702).