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Le droit musulman prohibe l'adoption en vertu de la sharia. On ne peut défaire une filiation biologique pour en créer une autre.
Mais un palliatif protecteur, la " kafâla ", existe pour l'enfant mineur abandonné ou orphelin. Il s'agit d'une institution permettant de la confier à une personne ou à un couple dont l'un au moins des conjoints est de confession musulmane, afin qu'il(s) assure(nt) bénévolement sa protection, son éducation et son entretien.
De nombreuses familles françaises originaires du Maroc et de l'Algérie recueillent ainsi en toute légalité des enfants en "kafâla", laquelle a fait l'objet d'une consécration à l'international, en tant que "mesure de protection", au même titre que l'adoption. Mais au regard du droit français, l'enfant ne fait pas partie de la famille qui l'a accueilli car aucun lien nouveau de filiation n'est créé.
De plus, l'article 370-3 du Code civil interdit " l'adoption d'un mineur e?tranger... si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si le mineur est ne? et re?side habituellement en France ".
Aussi, afin que l'enfant mineur en " kafâla " puisse bénéficier en France d'une protection légale et de certains droits (bourses...), il apparaissait indispensable de pouvoir reconnaître cette institution.
Face aux formalités qu'impose la " kafâla ", strictes mais variables selon les pays, la circulaire du 22 octobre 2014 a ainsi été amenée à l'assimiler tantôt à une délégation d'autorité parentale, tantôt à une tutelle.
Que cela soit au Maroc ou en Algérie, deux voies sont possibles quant à l'établissement d'une " kafâla ".
La première est d'ordre judiciaire. Le juge vérifiera que la mesure est conforme à l'intérêt de l'enfant, notamment via une enquête et l'obtention du consentement de l'enfant de plus de douze ans au Maroc.
La seconde est d'ordre privée et prend la forme d'un acte dressé par un adoul (dont le rôle s'apparente à celui d'un notaire) au Maroc, et
par un officier ministériel ou notaire en Algérie. Elle correspond à une prise en charge intrafamiliale.
Dans les deux pays, la " kafâla " notariale ou adoulaire pourra faire l'objet d'une homologation du juge. Néanmoins, seule celle notariale produira les mêmes effets qu'un jugement, de par les conditions de fond plus strictes qu'elle impose. Celle adoulaire n'aura quant à elle que des effets plus limités à l'égard de l'administration et des services sociaux, et n'induira aucun contrôle judiciaire ou administratif de ses modalités exécution.
La " kafâla " entraine automatiquement délégation de l'autorité parentale au profit du " kafil " ayant recueilli l'enfant.
Il se soumet à des obligations relatives à la garde et à la protection du mineur. A cet égard, il bénéficie des indemnités et
allocations sociales allouées aux parents et est civilement responsable des actes de l'enfant.
Si la " kafâla" n'entraine pas, en principe, de changement de nom pour l'enfant recueilli, une procédure administrative, engagée ultérieurement, est toutefois possible a? cette fin. Le " kafil " pourra donner son nom à l'enfant recueilli, à condition d'obtenir le
consentement de la mère, si celle-ci est connue. L'enfant ne figurera néanmoins pas sur le livret de famille du " kafil ".
Au Maroc, la décision relative à l'octroi de la " kafâla " sera seulement mentionnée en marge de l'acte de
naissance de l'enfant.
Quant aux effets successoraux, ils sont inexistants au Maroc, et limités à un tiers des biens du " kafil " - au delà desquels l'accord des autres héritiers sera nécessaire- en Algérie.
Nous sommes donc assez éloignés des effets propres à l'adoption en France. Mais en créant des passerelles entre le droit musulman et
celui interne, la circulaire du 22 octobre 2014 a cherché à assurer la reconnaissance de cette institution et des droits qu'elle confère aux enfants
recueillis.
A/ La reconnaissance
S'agissant d'une décision relative à l'état des personnes, l'établissement d'une " kafâla " bénéficie d'une reconnaissance de plein
droit sur le territoire français, dès lors que sa régularité internationale n'est pas contestée.
Cette solution, non nouvelle, et, ayant été réaffirmée par la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 d'aide mutuelle judiciaire
ainsi que par celle franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l'exequatur et l'extradition, il n'est en principe pas nécessaire de solliciter l'exequatur.
Ce dernier pourra cependant s'avérer utile, dans le cadre de démarches administratives, afin de prouver plus aisément le rattachement de
l'enfant aux personnes l'ayant pris en charge.
La circulaire explicite les différentes étapes que le tribunal de grande instance devra suivre.
En premier temps devra-t-il s'interroger sur l'existence d'une convention conclue entre la France avec le pays dont la décision émane.
S'il n'en existe aucune, les conditions classiques de l'exequatur seront requises, à avoir la compétence indirecte du juge étranger, la conformité à l'ordre public et l'absence de fraude.
Dans le cas d'un exequatur franco-marocain ou franco-algérien, les conventions précitées devront être appliquées. Les parties auront donc à fournir au tribunal les pièces démontrant la compétence internationale de la juridiction ayant rendu la décision, la régularité de la citation ou encore l'absence de contrariété à l'ordre public français.
L'exequatur d'une " kafâla " homologuée fera cependant l'objet d'une vérification plus pointue, le juge étranger n'ayant pu ne faire qu'attester de la régularité formelle de l'acte en l'homologuant, et non de ses conditions de fond.
L'exequatur obtenu ne permettra pas de mentionner la " kafâla " sur les registres de l'état civil, de par l'absence de lien de filiation en découlant.
Le juge ne pourra normalement statuer que sur la reconnaissance, sauf si la nouvelle demande n'a pas été soumise au juge étranger et apparaît comme un nécessaire prolongement de celle d'exequatur (ex : pour obtenir les effets d'une délégation d'autorité parentale).
D'autre part, un contrôle incident pourra être effectué par le juge aux affaires familiales, à l'occasion du divorce ou de la séparation du couple ayant recueilli l'enfant.
Une fois la reconnaissance acquise, la circulaire spécifie la façon doit elle doit être traitée en droit interne, différemment de l'adoption comme nous l'avons vu.
B/ La compétence du juge français
Le juge français sera compétent pour mettre en ?"uvre cette décision dès lors que l'enfant résidera en France, selon l'article 8 du règlement (CE) du Conseil du 27 novembre 2003 prévoyant que les juridictions d'un Etat membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard de l'enfant résidant habituellement dans cet Etat membre au moment où la juridiction est saisie.
Par ailleurs, le juge français appliquera la loi du for en vertu de l'article 15 de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996, ce dernier stipulant que la loi de l'Etat de la nouvelle résidence de l'enfant s'applique à ce dernier, et régit les conditions d'application des mesures prises dans l'Etat de l'ancienne résidence habituelle.
C/ Les effets de l'institution en France
Concrètement, dans le processus de mise en ?"uvre des effets de la " kafâla ", le juge sera confronté à deux cas de figure.
- Pour les enfants sans filiation légalement établie ou orphelins, la " kafâla " s'apparentera à une tutelle et le " kafil " sera alors vu comme un tuteur.
Afin de clarifier la situation de l'enfant en France, les magistrats agiront en faveur de l'ouverture de cette mesure de protection, principalement en l'absence d'une décision d'exequatur.
-Pour les enfants avec une filiation établie ou des parents vivants, la " kafâla " produira les effets d'une délégation d'autorité parentale totale ou partielle.
Le juge aux affaires familiales pourra ainsi ordonner une telle délégation.
Il est en outre précisé que, dans le cas spécifique de la séparation des recueillant, dès lors que l'enfant vit en France, le juge français sera également compétent et appliquera la loi du for, en vertu des textes précités.
En guise de conclusion, la circulaire apporte des éclaircissements sur la procédure d'adoption française de l'enfant en " kafâla ", tout en spécifiant bien qu'il s'agit du cas spécifique où l'enfant aura acquis la nationalité française par déclaration. Son statut personnel n'étant plus soumis à la loi marocaine ou algérienne, il pourra en effet être adopté[1].
Les conditions de l'adoption française s'appliqueront en l'espèce, principalement celle de l'exigence du consentement des parents ou du représentant légal de l'enfant. De nouveau, deux cas de figure seront donc envisageables.
-Si l'enfant a des parents connus et vivants, le consentement exprès et éclairé de ces derniers, pouvant être recueilli par tous moyens, est une exigence de droit matériel qui ne peut être satisfaite par une simple délibération du conseil de famille.
En l'absence de consentement, l'enfant recueilli par " kafâla " pourra toutefois être adopté en la forme simple à sa majorité.
- Si l'enfant n'a aucune filiation établie, le consentement donné par le conseil de famille apparaitra suffisant. Le juge des tutelles mineurs devra alors être saisi.
L'enfant recueilli pourra ainsi être faire l'objet d'une adoption plénière ou simple.
[1] Référence est ici faite à l'alinéa 3 de l'article 3 du Code civil selon lequel "Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en
pays étranger."
Cette circulaire s'inscrit donc dans le cadre d'une reconnaissance toujours plus accrue par le droit français des institutions lui étant étrangères, ainsi que dans un renforcement des relations juridiques et familiales franco-marocaines et franco algériennes.
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