122 partages |
CA Chambéry 22 octobre 2013 n° 13-02258, 3e ch.
Les dispositions qui ouvrent le mariage homosexuel aux personnes dont la loi personnelle ne l'autorise pas constituent une règle d'ordre public international qui justifie la mise à l'écart de la loi marocaine désignée par la convention franco-marocaine du 10 août 1981.
A la suite de la promulgation de la loi 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, un Français et un Marocain déposent un dossier de mariage auprès de la mairie de leur lieu de résidence et publient les bans. Le parquet notifie une décision d'opposition à mariage.
En première instance, les juges ordonnent la mainlevée de l'opposition. Mais le Parquet fait appel. L'article 5 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire prévoit que les conditions de fond du mariage sont régies pour chaque époux par sa loi nationale. Or, le droit marocain n'autorisant pas le mariage homosexuel (le Code pénal marocain réprimant de surcroît l'homosexualité), le mariage s'il était célébré serait nul en raison du non-respect, pour l'époux marocain, des conditions de fond posées par sa loi nationale. Certes, le nouvel article 202-1, alinéa 2 du Code civil issu de la réforme de 2013 dispose que « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ». Cependant, le parquet soutient qu'en application de l'article 55 de la Constitution garantissant la supériorité des traités sur les lois, l'article 5 de la convention franco-marocaine doit prévaloir sur le Code civil.
Les futurs époux soutiennent au contraire que :
l'acte d'opposition est nul puisqu'il ne cite pas, comme l'y oblige l'article 176 du Code civil, le texte de loi marocain interdisant le mariage de couples de même sexe ;
la convention franco-marocaine serait inapplicable faute de réciprocité ;
subsidiairement, la loi du 17 mai 2013 aurait modifié l'ordre public international français permettant d'évincer l'article 5 de la Convention en raison de la discrimination dans l'accès au mariage que son application créerait.
La cour d'appel confirme le jugement de première instance. Ecartant les deux premiers arguments, mais retenant le troisième, les juges soulignent que la liberté de se marier est un droit fondamental. Ils indiquent en outre qu'il ressort des dispositions du nouvel article 202-1 du Code civil que le conflit de lois éventuel a été anticipé par le législateur et que le mariage a ainsi été déclaré possible même pour les personnes dont la loi personnelle n'autorise pas le mariage entre personnes de même sexe, ses dispositions s'intégrant à un nouvel ordre public international. La non-application aux ressortissants marocains de l'article 202-1 du Code civil en raison de la convention franco-marocaine de 1981 entraînerait une discrimination au détriment de ces derniers. Il convient dès lors d'écarter l'application de la Convention au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013, et en conséquence de ne pas reconnaître ici une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes.
Remarque
Si l'on fait abstraction de sa motivation particulièrement confuse, la solution donnée par cet arrêt est intéressante au regard de l'application en droit international privé de la nouvelle loi du 17 mai 2013 relative au mariage entre personnes de même sexe. Celle-ci a introduit dans le Code civil deux articles 202-1 et 202-2 relatifs aux conditions de fond et de forme du mariage, lesquels ne font que codifier les solutions classiques dégagées par la jurisprudence en cette matière. L'innovation est venue du second alinéa de l'article 202-1 qui prévoit une exception spécifique, dans le cas du mariage homosexuel, à la règle de conflit de lois relative aux conditions de fond du mariage. On peut y voir une simple règle de conflit de lois dérogatoire à la règle générale. Mais elle est clairement formulée comme une exception de faveur, lorsque la règle générale désigne une loi nationale prohibant le mariage entre personnes de même sexe. Elle joue donc de façon très similaire à l'exception d'ordre public international. Il est vrai que l'exception instaurée ne joue pas de manière systématique mais seulement lorsque certains facteurs de rattachements (définis de manière large) sont réunis. Cela n'est pas nécessairement contradictoire avec le concept d'ordre public international dans la mesure où il arrive fréquemment qu'en droit de la famille celui-ci intervienne avec une intensité différente en fonction des liens qu'entretiennent les personnes en cause avec la France (ordre public dit « de proximité »). Reste néanmoins une différence : le rattachement de la situation ne s'apprécie pas seulement avec la France mais également avec une loi quelconque autorisant le mariage homosexuel. Si la règle devait jouer, elle évincerait probablement la loi étrangère prohibitive au profit de la loi française et non de la loi étrangère permissive désignée par le rattachement (H. Fulchiron, Le mariage entre personnes de même sexe en droit international privé au lendemain de la reconnaissance du « mariage pour tous » : JDI 2013 doctr. 9). Si elle ne ressemble donc pas complètement à une exception d'ordre public international (en faveur cependant de cette qualification, H. Fulchiron, précité), la règle posée manifeste en tout cas très clairement la volonté du législateur français de donner, dans les situations internationales, la portée la plus large possible aux nouvelles dispositions, ce qui justifie son intégration dans les principes de la conception française de l'ordre public international. Toutes les conventions internationales contenant des règles de conflit de lois prévoient que les règles qu'elles contiennent peuvent être écartées par le jeu de l'ordre public international. Comme le relève ici la cour d'appel, la convention franco marocaine le prévoit également (sous réserve que l'incompatibilité soit manifeste) en son article 4. Dès lors, il n'était nullement besoin d'invoquer une dérogation à la hiérarchie des normes (absurde) et la nécessité d'écarter cette convention, mais tout bonnement de l'appliquer, ce qui ne changeait rien à la solution retenue. On relèvera enfin que la solution rapportée prend le contrepied de la circulaire du 29 mai 2013 de présentation de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Celle-ci, analysant la règle posée par l'article 202-1, alinéa 2 du Code civil comme une règle de conflit de lois dérogatoire, en concluait qu'elle devait s'effacer devant les règles de conflit issues de conventions internationales, en vertu de la hiérarchie des normes. Pour les raisons indiquées ci-dessus, il suffit de raisonner en termes d'ordre public international pour faire disparaître la contradiction. La circulaire a d'ailleurs été critiquée sur ce point (H. Fulchiron, précité ; C. Bidaud-Garon, Mariage pour tous : la circulaire ! JCP G 2013 n° 729). Pour terminer, on signalera que l'arrêt d'appel a fait l'objet d'un pourvoi en cassation. On attendra donc avec intérêt la décision des Hauts Magistrats.
Source : Editions Francis Lefebvre
Une question en Nos avocats vous répondent gratuitement | 83%de réponse |
* Durant les 60 dernièrs jours
Offre et délai minimum transmis par un avocat sur Alexia.fr au cours des 30 derniers jours dans au moins une région.