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L'obligation de fidélité évolue. Les arrêts de jurisprudence
sous l'influence d'une société en pleine mutation façonnent un concept plus
large, moins charnel et d'avantage moral. L'infidélité n'est plus
automatiquement une faute et la fidélité devient une obligation du mariage
qu'il est possible d'aménager.
Comment, ceux qui se marient de nos jours, entendent-ils les
versets du Code civil lorsqu'ils sont égrenés par le Maire ? Hétéro,
Homo...une fois la bague au doigt passée, quelle acception les mariés ont-ils du
concept de fidélité ? Entre ceux qui ne peuvent s'épanouir dans la
monogamie du mariage, ceux qui sont habitués à une pluralité sexuelle avec ou
sans leur partenaire, ceux pour qui tromper est un mode de vie...il y a
certainement mille et une conceptions du devoir de fidélité. Et il est probable
que chacun une fois marié, interprète selon sa propre gamme les variations de
cette notion aux contours bien flous.
Pourtant le Code civil est clair :
Article 212 du Code civil :
" Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance "
La fidélité est une obligation issue du droit canon et
inscrite dans l'inconscient collectif comme le corolaire du mariage, hétérosexuel
en tout cas[i]
Pour autant il n'y a pas, en droit, ni dans le Code civil,
ni dans les arrêts de jurisprudence, de définition de " la
fidélité ". Les arrêts, se contentent de sanctionner ce qui, au jour où
ils sont rendus, est considéré comme de l'infidélité. Mais la notion a déjà
changé et elle est en train d'évoluer à grands pas avec l'arrivée du mariage
pour tous qui devrait accélérer sa métamorphose.
Mais à l'heure de la liberté sexuelle, du poly amour, des
unions gays sans parler des libertins et échangistes, la question peut se poser
de savoir si de nos jours l'obligation de fidélité s'accorde toujours avec
l'engagement du mariage ou si au contraire n'est pas venue l'heure d'autoriser
son interprétation et d'accepter officiellement les pactes de liberté.
L'étude de la jurisprudence témoigne d'une tendance marquée vers
un respect des choix de vie personnelle et sexuelle des époux.
Il faut se rappeler pourtant qu'avant 1975 l'infidélité
était une infraction pénale et une cause péremptoire de divorce (c'est-à-dire
que le divorce était obligatoirement prononcé si la preuve de l'infidélité
était rapportée).[ii]
De nos jours il s'agit toujours d'une des principales
obligations du mariage. C'est également une obligation d'ordre public dont il
est impossible de déroger ou de s'en décharger d'une quelconque manière que ce
soit. Vraiment ? Ceci est la
théorie. La réalité est toute autre.
Avec la libération des m?"urs les tribunaux ont eu à se prononcer
sur des questions telles que : Un contrat signé entre les époux les
déchargeant de l'obligation de fidélité est-il valable ? Le mode de vie
libéré adopté par les époux a-t-il des conséquences sur l'obligation réciproque
de fidélité ? La connivence des époux dans les relations extra conjugales interdit-elle
de se plaindre de l'infidélité de l'autre ?
La tendance est telle que certains auteurs vont jusqu'à
préconiser de supprimer l'obligation de fidélité des obligations du mariage ou
même de permettre à chacun de l'aménager comme il l'entend. L'idée est
développée suivant laquelle la véritable fidélité ne se situerait plus dans
l'exclusivité sexuelle mais dans la loyauté de son rapport à l'autre.
L'obligation de fidélité se diluerait ainsi dans le devoir de respect (autre
obligation de 212 du Code civil). Le respect serait entendu comme le respect de
l'autre, de sa personnalité, de sa liberté et de sa part d'autonomie, alors que
la fidélité, au sens de loyauté impliquerait plutôt le respect de ses propres
engagements à l'égard de l'autre. L'obligation de fidélité pourrait donc tout
aussi bien être un aspect du devoir de respect.
Par exemple la Cour d'appel de Bordeaux dans une décision du
10 avril 1996 [iii]
a considéré que l'entretien par le mari d'une relation sentimentale avec un
autre homme était une atteinte à l'obligation de fidélité et de loyauté dues
pendant le mariage alors même qu'il n'y avait pas eu de relations
physiques, ce qui justifiait le prononcé du divorce à ses torts
Par exemple, pour une relation entre deux femmes : Cass. 2e
civ., 17 avr. 1975 : DS 1975
Si cette tendance se confirmait la fidélité concernerait à
la fois les rapports physiques et les relations intellectuelles. Or, " L'intellectualisation
de l'obligation de fidélité va de pair avec sa contractualisation "[iv]
La jurisprudence publiée sur ces questions permet de se
rendre compte des larges avancées faites en la matière.
Ainsi il n'y pas de
faute ni de violation grave et répétée des obligations du mariage, et de
l'obligation de fidélité dans les cas suivants :
[i]
La fidélité, dans le mariage canonique, est d'abord charnelle : l'union totale des
époux est concrétisée par la consommation du mariage sans laquelle il ne peut
être parfait (la non-consommation du mariage étant une cause de nullité) ;
cette consommation du mariage crée au profit des époux une sorte de droit réel,
de droit de propriété exclusif et absolu sur la personne de l'autre que
l'adultère remet en cause.
Virginie Larribau-Terneyre
Professeur à l'Université de Pau et des Pays de
l'Adour
Codirectrice du CRAJ (Centre de recherche et d'analyse
juridiques - EA 1919)
Jurisclasseurs article 213 & 214 Code civil
[ii]
Le mari était punissable d'une peine d'amende s'il entretenait sa maîtresse au
domicile conjugal. L'épouse était punissable d'une peine d'emprisonnement qui
pouvait atteindre son amant (complice). La loi du 11 juillet 1975 a réformé ces
dispositions
[iii]
Cour d'appel de Bordeaux 10 avril 1996 - CA Bordeaux, 10 avr. 1996 : JurisData
n° 1996-044067
[iv]
Catherine Philippe, Quel avenir pour la fidélité, droit de la famille N°5, mai
2003, chron. 16 éditions lexisnexis
La jurisprudence établie de longue date, considère qu'il n'y
a pas de faute s'il existe une connivence entre les époux. La jurisprudence,
rendue avant la réforme du divorce de 1975 à laquelle il est encore fait
référence à l'heure actuelle, retenait la connivence pour exclure la faute. En
cas de connivence, un époux ne peut se prévaloir à l'encontre de l'autre de
faits dont il s'est rendu lui-même complice.
Pour exemple, le cas d'un couple qui " entretenait des
relations érotiques avec un autre couple " la Cour de Cassation rappelle
qu'il y a alors connivence entre les époux dans l'adultère qui doit conduire au
rejet de la demande en divorce. [i]
Ainsi, aucun époux ne peut se prévaloir à l'encontre de
l'autre de faits dont il s'est lui-même rendu complice. La cour de cassation a
même jugé qu'il n'était pas nécessaire que cette connivence soit réciproque. [ii]
[i]
Cour de Cassation civile 2, 21 juin 1979, n°78-14005, publié au bulletin
[ii]
Cour de Cassation civile 2, 4 juillet 1973- Jurisdata 1973-099214
Différents arrêts admettent que des époux choisissent de
vivre " librement " leur sexualité et s'autorisent entre eux
l'adultère pour considérer qu'aucune faute ne peut être reprochée de ce fait.
-
Dans un arrêt du 19 novembre 1996 la cour
d'appel de Bordeaux[i]
a dû juger d'une demande en divorce d'un
couple qui vivait de manière non conventionnelle : Le couple vivait
dans une grande ville et disposait d'une maison secondaire au bord de mer.
L'épouse " menait une vie ponctuée de grands espaces d'indépendance "
passant deux jours de la semaine et les week-end d'hiver au domicile conjugal
et le reste du temps dans la maison secondaire où elle recevait un amant. L'époux
entretenait une maitresse de manière non dissimulée et l'avait installée dans
un appartement en ville où il résidait principalement. Mais cependant vis-à-vis
des tiers, le couple continuait de présenter l'image d'un couple vivant ensemble,
en organisant des réceptions au domicile conjugal ou bien en se rendant
ensemble à des invitations, réveillons...Et la Cour a jugé comme suit :
" L'étude des différentes pièces montre
que les deux époux ont adoptés depuis de nombreuses année un mode de vie
comportant pour chacun de grands espaces d'intimité hors couple, ayant
progressivement distendu leurs liens au point de les mener à une vie commune
avant tout sociale, à s'autoriser l'adultère...
.../...
Qu'ainsi, les violations que chacun
aujourd'hui reproche à l'adversaire en sont pas imputables à l'un ou l'autre
mais procèdent de ce mode de vie tout comme elles ne rendent pas la vie commune
intolérable puisqu'elles correspondent à l'inverse à une organisation conjugale
mutuellement consentie.
Que faute de rapporter la preuve de griefs
comportant les caractères énoncés à l'article 242 du Code civil les parties
seront déboutées de leurs demandes en divorce "
-
En matière de
libertinage et d'échangisme, un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse [ii]
a jugé qu'aucune faute ne pouvait être retenue. Les deux époux après avoir été
échangistes, se reprochaient l'un et l'autre leur vie dissolue. L'époux
accusait sa femme d'avoir eu, en dehors de relations échangistes en sa
présence, des rencontres seules avec des tiers en cachette de son mari ;
quant à l'épouse elle reprochait à son mari ne cesser de lui proposer des
rencontres échangistes.
La cour a jugé que : " Chacun
des époux ayant participé et s'étant montré complaisant à l'égard des aventures
communes ou seules de l'autre il y a lieu de ne pas retenir ces faits à la
charge de l'un ou de l'autre époux "
-
Dans un contexte de liberté sexuelle tacitement consentie,
la Cour d'appel Bordeaux a jugé le 21 mars 2000[iii]
qu'à partir du moment où le mari avait consenti à la relation adultère de son
épouse il ne pouvait plus invoquer cette liaison pour invoquer la faute. En
l'occurrence l'épouse avait eu une relation avec un amant. L'époux avait écrit
à cet amant en lui indiquant que sa femme souhaiterait faire l'amour avec lui
et qu'il ne s'y opposait pas, voir même qu'il souhaiterait participer. Il
écrivait aussi que son épouse qui sortait en boite de nuit pouvait à cette
occasion s'offrir à n'importe quel homme.
La Cour s'exprime ainsi :
" L'époux ne peut invoquer cette
liaison adultère de son épouse à l'appui de sa demande en divorce ; qu'en
effet, si le manquement de l'épouse à l'obligation de fidélité est établi, ce
manquement n'a pu rendre intolérable le maintien de la vie commune, dans la
mesure où l'époux avait expressément consenti à cette liaison, allant même
jusqu'à regretter de ne pas être présent pour " participer "
Dans un tel contexte de liberté sexuelle
consentie, Monsieur Z ne peut davantage fonder une demande en divorce pour
faute, sur la fréquentation habituelle de boites de nuit par son épouse et sur
l'existence de relations intimes qu'elle a pu y nouer, alors qu'in fine dans
son courrier Monsieur Z indiquait que son épouse aurait pu offrir de la même
manière ses faveurs dans une boite de nuit à n'importe quel homme, ce qui
traduit un accord au moins tacite du mari aux relations occasionnelles de son
épouse avec des tiers, ôtant à ces relations tout caractère injurieux envers
lui "
[i]
Cour de Cassation civile 2, 4 juillet 1973- Jurisdata 1973-099214
[ii]
CA Toulouse, 19 février 1997, 1ère chambre, 2ème section,
Jurisdata 1997-042943
[iii]
CA Toulouse, 19 février 1997, 1ère chambre, 2ème section,
Jurisdata 1997-042943
Si l'on en croit le caractère d'ordre public de l'obligation
de fidélité, aucune dérogation ne serait valable. Pourtant, la jurisprudence
admet que par convention les époux aménagent leur vie privée. Deux décisions,
rendues certes dans le cadre des mesures provisoires d'un divorce, acceptent ainsi
le principe que les deux époux se déchargent mutuellement de l'obligation de
fidélité à compter de la cessation de la vie commune.
-
Une première décision, qui a été largement
commentée dans les revues spécialisées vient du TGI de Lille[1].
Dans leur convention provisoire de divorce, les deux époux avaient introduit
une clause suivant laquelle puisqu'ils vivaient séparément ils " se
dispensent mutuellement du devoir de fidélité ".
Au regard des effets de cette clause, les
commentateurs ont observé que les époux divorçaient par consentement mutuel,
mais que s'ils changeaient d'avis cette clause serait sans effet à l'égard du
juge du divorce qui a son tour fera ce qu'il voudra. Mais à ce stade,
connaissant la jurisprudence énoncée plus haut, il est tout à fait concevable
que le juge du divorce considère que les époux soit sont de connivence, soit
ont un accord express ou tacite, qui s'oppose à ce que la faute soit invoquée
pour un motif d'infidélité.
-
Une deuxième décision rendue par la Cour d'appel
de Grenoble[2],
admet également que les époux, pouvaient se décharger de l'obligation de
fidélité dans leur convention de divorce concernant les mesures provisoires.
Qu'en l'espèce, les époux ne l'avaient pas fait, et qu'en conséquence
l'adultère était une faute pouvant être retenue pour prononcer le
divorce :
" C'est à bon droit que le premier juge a dit
que l'accord signé par les parties le 30 juillet 1996...ne les dispensait pas de
leur obligation de fidélité, que l'adultère de Monsieur Z constituait par suite
une violation grave et renouvelée des obligations nées du mariage rendant
intolérable le maintien de la vie commune, et qu'il a prononcé, en l'absence de
grief du mari à l'encontre de l'épouse, le divorce aux torts exclusifs de
celui-ci ".
Ces deux décisions autorisent à penser que le pacte de liberté
dont il est question depuis les années 70 pourra voir le jour notamment sous
l'influence du mariage pour tous et de la nouvelle génération d'époux. La
fidélité ne consisterait plus en une soumission à un ordre établi par la
bienséance, les conventions ou le Code civil, la fidélité serait celle définie
par des engagements propres et singuliers que chacun aura pris envers l'autre.
Dans le nouvel ordre moral qui se dessine, gageons que cette question sera au
centre des débats.
Olivia Chalus
Avocat - Nice
2014
[1]
TGI Lille, Jaf, 26 novembre 1999, Dalloz 2000. 254- RTDC 2000 p296
[2]
CA Grenoble 3 mai 2000- 2ème chambre civile- Jurisdata 2000-119946
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